D’Hildegard à la médecine au Moyen Âge
Le Jardin des 9 carrés est un des trois jardins labellisés « remarquables » par le ministère de la Culture, conçu par l’agence DVA (Damée, Vallet & Associés), et mis en œuvre par les jardiniers de l’abbaye.
Depuis juin 2025, il accueille une nouvelle collection de plantes, dédiée à la figure d’Hildegard von Bingen, une religieuse allemande du XIIe siècle qui prescrivait déjà l’usage de plantes pour soigner le corps et l’esprit.
C’est l’occasion d’en savoir plus sur cette moniale bénédictine, mais aussi sur la médecine à son époque…
Actualité d’Hildegard von Bingen
Pour cette septième thématique du jardin des 9 carrés, nous nous intéressons à nouveau à Hildegard von Bingen. Depuis des décennies, nous pouvons observer un intérêt croissant et une redécouverte des travaux de la moniale du XIIe siècle, dont la proclamation comme docteure de l’Église en 2012 par le pape Benoit XVI a été un moment fort.
Née aux alentours de 1098 et certainement décédée en 1179, Hildegard connut une existence marquée par la maladie et divers problèmes de santé. La finesse de son intelligence et les premières manifestations de son mysticisme amènent ses parents à la consacrer à Dieu en l’envoyant auprès de Jutta von Sponheim, autre jeune femme de l’aristocratie ayant choisi la clôture pour existence. Ce n’est que bien des années plus tard qu’Hildegard prononça ses vœux.
À ce moment-là de son existence, rien ne la prédestinait à avoir la vie que nous lui connaissons. Rien ne laissait alors présager qu’elle échangerait et conseillerait les grands de son temps, de Bernard de Clairvaux au pape Eugène III. Il serait fastidieux de décrire ici la longue existence qu’elle a eue, le rôle qu’elle joua politiquement ou encore son importance dans la création de couvents bénédictins. Elle produisit dans la deuxième partie de sa vie une œuvre écrite particulièrement conséquente et dont la caractéristique première est d’être protéiforme. Elle est à présent reconnue dans différents domaines, de la poésie à la théologie, de la musique à la botanique, en passant par la médecine, ce qui a donné, des siècles plus tard, une œuvre critique tout aussi diverse et protéiforme. Si ces différents domaines peuvent paraître relativement éloignés les uns des autres, pour Hildegard, rien n’échappe au dessein global de Dieu. Chanter, prier, observer, apprendre, créer, soigner : la moindre de ses actions est une façon de rendre grâce.
DVA paysages avait déjà travaillé à partir de l’oeuvre d’Hildegard von Bingen, créant un jardin thématique pour l’abbaye de Royaumont. Il s’agissait alors, à travers la composition en neuf carrés, de présenter et d’expliciter une part de sa classification botanique. Dans la Physica, elle a en effet distribué effet chaque plante selon deux critères : chaud ou froid d’un côté, et sec ou humide de l’autre. Le premier jardin thématique réalisé donnait à voir cette classification, qui est directement liée à la théorie des humeurs et qui permet d’entrer dans un premier niveau de lecture.
Face à l’engouement qu’Hildegard von Bingen continue de susciter et au renouvellement sans cesse des sujets ou des domaines où elle apparaît – comme l’écoféminisme, récemment –, il nous a semblé intéressant de repartir de cette première lecture et de la compléter avec une autre, également propice à souligner la complexité de son œuvre. Le savoir pharmaco-botanique est au cœur de la réflexion de la moniale. Il s’agit d’une part considérable de ses recherches et celle qui continue le plus à retenir l’intérêt des contemporains – en témoigne les nombreuses tisanes selon ses recettes actuellement vendues. Nous avons donc travaillé sur cette dimension-là, partant du principe qu’il s’agirait d’un jardin complémentaire au premier et d’une invitation à prolonger le voyage pour ceux qui l’avaient visité.
L’univers d’Hildegard : un monde de symboles
Le XIIe siècle est particulièrement attaché au symbolisme, qui lui permet notamment d’établir des analogies entre l’homme et l’univers, le microcosme et le macrocosme. Hildegard partage pleinement cette vision d’un monde harmonieux entre ses différentes échelles. Cela se perçoit dans ses œuvres qui nous font passer d’un texte sur des visions cosmiques à un autre sur une plante sauvage que l’on peut encore observer au bord d’un chemin. Elle va dans cette même dynamique créer des analogies entre les éléments constitutifs du corps humain, dans sa matérialité, et les éléments constitutifs du monde. Elle met par exemple en parallèle les pierres et les os, les herbes dites « aériennes » et les cheveux. Hildegard von Bingen se situe toujours pleinement dans son temps, mais en y apportant une poétique personnelle et un regard propre qui donnent sa singularité à son œuvre.
Singularités et particularités d’Hildegard von Bingen
S’il est aisé, en comparant les textes de la moniale avec d’autres circulant à la même période, de connaître quelles plantes étaient alors connues, il l’est souvent moins de savoir quel est l’exact apport de notre autrice. La présence de plantes étrangères laisse penser qu’elle ne s’est pas limitée à ses observations personnelles et à la flore se trouvant à proximité de son lieu de résidence, même si dès le Haut Moyen Âge de nombreuses épices, notamment, sont apparues en France – ainsi, au marché de Cambrai, on pouvait trouver dès le IXe siècle du gingembre, des clous de girofle, de la cannelle, de la myrrhe, le zédoaire… De nombreuses plantes évoquées par la moniale. Certaines d’entre elles ne se trouvant alors que sous une forme transformée, il est difficile de penser qu’Hildegard ait pu les observer sous leur forme première, botanique.
Mis à part ces quelques éléments, il est évident que le savoir botanique d’Hildegard était particulièrement important et que son œuvre constitue une part considérable de la culture médiévale. Son emploi de la langue vernaculaire présente toujours des difficultés même pour des traducteurs aguerris et ne permet pas d’identifier les plantes évoquées dans certains chapitres, mais il est un signe du travail personnel effectué. Hildegard ne se limite pas aux lectures, latines, mais cherche à connaître la diversité botanique qui l’entoure. Elle va évidemment se trouver face à un problème : celui du nom et du vocabulaire, elle a ainsi recours ponctuellement à la périphrase mi-latine mi-germanique. Sa perspective est de communiquer des connaissances, pas de créer un guide pratique ou une classification universelle comme le fera Linné. Il s’agit ici toujours de signifier le réel et ce qu’elle en sait avec ses propres mots. C’est pour cela qu’Hildegard va décrire des plantes sans aucun intérêt médical : elle partage ses connaissances en botanique, permettant ainsi de saisir l’ensemble du réel offert aux hommes. Son œuvre va au-delà du simple guide utilitaire mais constitue une tentative de rendre compte d’un savoir global notamment des plantes connues. Elle tient à la fois de l’encyclopédie, du régime de santé ou du recueil de diagnostics.
Le livre des plantes, né de la création d’un monastère
Le livre des plantes est le plus conséquent témoin de l’intérêt porté par la moniale à la botanique. Au sein de ce livre, elle recense 213 plantes. L’ordonnancement très personnel des sujets traités pose évidemment parfois des problèmes de rigueur, puisque les classifications scientifiques n’avaient pas été mises en place : elle peut aussi bien évoquer, parmi les plantes observées, le miel, le sucre, le lait, le beurre, ou bien traiter à deux reprises d’une même plante, rendant son identification contemporaine délicate.
Si la rédaction de cette part de son œuvre est assez tardive, il est certain que son départ du monastère de Disibodenberg pour aller créer un couvent ex nihilo a été un moment important pour la constitution de ses connaissances botaniques. Loin du cadre protecteur de son premier cloître, où les plantes étaient recensées et entretenues, elle s’est retrouvée face à une nature plus sauvage, où de nombreuses variétés lui étaient inconnues. Il fallut du temps et du labeur à sa communauté féminine pour recréer une oasis bénédictine. Il est fort probable qu’Hildegard constitua une part de ses connaissances à ce moment-là, en observant de nombreuses plantes indigènes et potentiellement non référencées dans les ouvrages auxquels elle avait pu avoir accès.
Les essences sauvages dominent d’ailleurs largement le liber primus et sont nommées sous des noms vernaculaires indiquant qu’elles ne se trouvaient pas dans des ouvrages latins.
L’étude botanique par Hildegard von Bingen se situe quasiment toujours dans une perspective médicale, évoquant systématiquement les bienfaits sur le corps et contre les maux. Les plantes n’ayant aucun apport particulier sont toujours ramenées à ce manque. Il s’agit dès lors d’une œuvre complexe, au sens où elle appartient à différentes typologies, de la nomenclature scientifique à la littérature médicale.
Savoir médical et médecine au Moyen Âge
Le XIIe siècle représente une transition fondamentale dans la pratique médicinale. Les monastères étaient alors des pôles importants pour soigner. Dans cette perspective, les jardins des simples constituaient des éléments fondamentaux. Les moines s’efforçaient alors de faire vivre des savoirs antiques et des connaissances botaniques minimales. Le Plan Saint-Gall comportait 16 plantes médicinales au niveau de l’herbularius. Nous pourrions penser qu’il s’agissait de plantes permettant de traiter un panel large de maux dont on pouvait couramment souffrir.
À côté de ces moines, la médecine était pratiquée par des hommes et des femmes sans réelle formation qui mêlaient des incantations aux savoirs empiriques et aux dosages parfois hasardeux. L’Église s’est efforcée de combattre ces pratiques qu’elle percevait comme païennes et occultes, favorisant un renouveau de la médecine qui fut aussi permis par l’essor des villes. De plus, à la fin du XIe siècle et au XIIe siècle, la traduction de textes arabes et grecs en latin provoqua une petite révolution permettant de refondre toute une part du savoir médical, mettant notamment un effort de rationalisation en son cœur. À partir de cette période, l’idée selon laquelle un médecin devait être lettré, avoir une excellente connaissance de l’anatomie et de la physiologie et surtout chercher les causes des maladies afin de pouvoir les traiter, s’est imposée. Même si les savoirs étaient alors imparfaits car encore en cours de développement, l’apparition d’une médecine rationnelle fut un changement de paradigme majeur dont nous sommes toujours les héritiers.
Texte principal : agence DVA (Damée, Vallet & Associés)
Dans le jardin d’Hildegard von Bingen…

Plantes contre la toux
La livèche, la lavande commune, la menthe aquatique, la fougère scolopendre, le bec-de-grue…

Plantes pour chasser la fièvre
Le basilic, la guimauve, la pivoine, la garance des teinturiers, l’olivier, la renouée bistorte, l’hellébore noire…

Plantes pour chasser les idées noires
Arum tacheté, hysope, lys blanc, primevère officinale, rosier de Provins, bétoine officinale…

Plantes pour cicatriser
L’achillée millefeuille, le lin cultivé, la verveine officinale, la violette odorante…

Plantes pour combattre la fatigue
Pyrèthre d’Afrique, absinthe, lierre terrestre, mélisse officinale, thym serpolet…

Plantes pour digérer
Ail commun, pyrèthre d’Afrique, souci officinal, carvi, fenouil, réglisse, sarriette annuelle, épeautre, sauge sclarée, lupin…

Plantes pour faire passer les maux de tête
Absinthe, grande aunée, grande mauve, menthe pouliot, fougère scolopendre, origan, sureau yèble, sauge officinale…

Plantes pour soulager sa vessie
La fraxinelle, l’iris des jardins, le persil, la tanaisie commune, le géranium des prés…

Dans le jardin d’Hildegard : soigner les corps et les âmes
En savoir plus