La collection de plantes d’Hildegard
L’abbaye de Royaumont dispose de 3 jardins labellisés « remarquables » par le ministère de la Culture. Conçu par l’agence DVA (Damée, Vallet & Associés), son jardin d’inspiration médiévale est dénommé « jardin des 9 carrés ».
Il accueille depuis juin 2025 une nouvelle collection de plantes, dédiée à la figure d’Hildegard von Bingen, une religieuse allemande du XIIe siècle qui prescrivait déjà l’usage de plantes pour soigner le corps et l’esprit.
Comment fonctionne la collection ?
Le jardin d’inspiration médiévale héberge des plantes décrites dans la Physica d’Hildegard von Bingen. Chaque carré réunit les plantes qui, selon la religieuse, pouvait guérir une maladie donnée. Avant de découvrir les huit thématiques, quelques précisions sur la vie d’Hildegard von Bingen, ses sources, sa vision de l’homme, de la nature et de la maladie, ses méthodes…
Qui est Hildegard von Bingen ?
Hildegard von Bingen est une religieuse allemande du XIIe siècle, qui a vécu sur les bords du Rhin, notamment aux environs du petit port de Bingen. Elle est entrée dans les ordres très tôt, dès 8 ans, au sein du monastère bénédictin de Disibodenberg. Elle a été élue abbesse de cette communauté 30 ans plus tard puis est partie fonder l’abbaye de Rupertsberg, entre 1147 et 1150, et enfin l’abbaye d’Eibingen, extension du précédent monastère, sur la rive droite du Rhin.
Hildegard von Bingen doit son actuelle notoriété aux ouvrages qu’elle a laissés, tous réunis dans le Riesencodex aujourd’hui conservé dans une bibliothèque de Wiesbaden. La Physica (soit « De la nature ») retient en particulier l’attention, avec sa description de 300 plantes et d’une centaine d’animaux. Il fait d’elle l’une des premières naturalistes connues et une figure incontournable dans l’histoire des médecines douces.
Hildegard von Bingen et les végétaux
Entrée enfant dans une communauté bénédictine, Hildegard von Bingen n’a pas échappé à la très ancienne tradition monastique de culture des plantes alimentaires et médicinales. L’ordre bénédictin accorde une véritable importance au jardin, au point d’en faire un élément fondamental du monastère.
Les jardins au Moyen Âge
Généralement, on découpe la période médiévale de l’histoire des jardins en deux grandes périodes qui sont :
- une première qui court de la chute de l’Empire romain jusqu’au XIIIe siècle : il s’agirait principalement de jardins se différenciant peu de l’agriculture et ayant souvent la fonction d’enclos nourriciers ;
- et une seconde, qui va de la seconde moitié du XIIIe siècle à la Renaissance : cette période, influencée par l’Orient à travers notamment les croisades, verrait naître le jardin d’agréement, qui se détache de sa fonction nourricière pour devenir un lieu de repos, de méditation et de plaisirs.
Les sources d’Hildegard von Bingen
Le monde d’Hildegard appartient encore à cette première période, même si, doucement, on s’apprête à basculer dans la seconde. Il reste relativement peu de documents donnant des détails sur la constitution de ces premiers jardins. Le plus intéressant que nous ayons à ce sujet demeure le plan de Saint-Gall, où nous pouvons observer l’organisation spatiale des jardins d’une abbaye. Cette dernière est constituée d’un jardin d’herbes médicinales (herbularius), d’un potager (hortus) et d’un verger-cimetière (viridarium). La séparation de ces différentes catégories permet une classification claire entre les différentes typologies de végétaux mais aussi des usages, réduisant les possibles confusions. Par ce plan, nous apprenons notamment que dix-huit essences alimentaires, au sein de l’hortus, et seize plantes médicinales, au sein de l’herbularius, étaient cultivées. Les essences que l’on y trouve sont également chez Hildegard. Il s’agissait certainement d’une structure d’aménagement encore très présente trois siècles plus tard, et qui servait de base pour structurer la vie communautaire comme pour la constitution de savoirs.
Mais, si le savoir pharmaco-botanique de l’autrice de la Physica est important, c’est qu’elle ne s’en tenait pas aux limites du savoir accumulé dans son cloître. Elle a certainement puisé dans les lectures qui comptaient à son époque, de la littérature antique à celle de ses contemporains. Sans rien ôter de la part de recherches personnelles de l’autrice, cela replace son travail dans une effervescence intellectuelle dense.
Comme dans la tradition des chansons de geste, la Physica est un ouvrage qui a été pensé pour accueillir des ajouts postérieurs et ainsi s’enrichir au fil du temps. De ce fait, des éléments nouveaux pour l’Occident du XIIe siècle ont pu être apportés au XIIIe siècle comme au XIVe siècle par des contributeurs inconnus.
Les difficultés liées à sa lecture, notamment celles provoquées par l’utilisation de noms vernaculaires, sont inhérentes à l’œuvre scientifique d’une moniale du XIIe siècle.
La vision d’Hildegard
Pour comprendre le travail botanique d’Hildegard von Bingen, il faut revenir à sa conception de l’homme. La chute d’Adam entraîna le monde dans lequel il vivait avec lui. L’homme est passé d’un paradis sans tâche à une nature marquée comme lui par la mort et la maladie. Cette dernière est donc partagée entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, comme les hommes. Cette dichotomie touche jusqu’à la réalité matérielle des hommes comme des plantes. Ces dernières sont porteuses, de façon plus ou moins marquée selon les cas, de négatif comme de positif, traduit par les conceptions de « froid », « chaud », « sec » et « humide ». Il s’agit des lois et des mécanismes qui régissent ce monde altéré, et c’est pour cela que globalement chaque chapitre est constitué d’abord d’une description de la nature – froide ou chaude, humide ou sèche – l’inscrivant dans un paradigme gradué de cet état du monde marqué par la chute, puis d’informations sur l’utilité de la plante dans un but médical et de ses potentiels dangers pour l’homme, voire, ponctuellement, pour le bétail.
Ainsi, la consommation de certaines plantes, par un usage interne ou externe selon les cas, va rééquilibrer une matérialité humaine constamment bouleversée. C’est ce déséquilibre-là qui nourrit la pharma-botanique d’Hildegard, dont la conception des humeurs, bien qu’héritée des penseurs antiques, est profondément chrétienne. Nous ne sommes pas dans une démarche scientifique désintéressée et neutre ; ce travail se situe toujours dans une perspective utilitaire pour l’homme. La description même de la nature d’une plante donne des informations précieuses pour aider l’homme à se rétablir dans un état plus équilibré, et si elle n’offre pas pareille opportunité, le chapitre qui lui est consacré est plus court.
Une connaissance empirique avec des intuitions justes
Les travaux qui ont été menés afin de replacer Hildegard von Bingen dans son contexte historique montrent bien qu’elle a eu des lectures et qu’elle s’est appuyée sur les ouvrages qui faisaient alors autorité. Ses savoirs la plupart du temps empiriques lui proviennent de sources variées, bibliques, antiques comme médiévales. Ainsi, il a été constaté qu’elle connaissait le travail de Walafrid Strabon (808-849), l’Hortulus, avec lequel elle s’accorde à plusieurs reprises dans La Physica. Dans son ouvrage, il mettait en évidence les vertus thérapeutiques de 23 plantes. Comme ce dernier, Hildegard louait les vertus de la rose ou encore celles du marrube contre les poux ou les maux de gorge. Tous les deux mettent en évidence l’intérêt de la menthe pouliot (Mentha pulegium), estimant qu’elle avait les vertus de 15 autres plantes et vantant son efficacité pour l’estomac.
Cette circulation des savoirs dont bénéficia la moniale n’enlève rien à ses apports personnels, qu’ils soient ponctuels – élargissant l’usage d’une plante – ou totalement novateurs – comme lorsqu’elle introduit l’usage du mercure en dermatologie ou l’utilisation de la muscade ou du camphre à des fins médicales.
Si la pharmacopée médiévale est avant tout végétale, Hildegard von Bingen connaît un vaste panel de plantes. Il y a, au sein de La Physica, plus de 100 plantes indigènes, dont 68 espèces indigènes sauvages et 38 types de plantes médicinales locales cultivées.
La dimension empirique de ce travail peut créer des difficultés, notamment lorsqu’elle préconise l’usage d’une plante sans préciser la partie ou la posologie. Elle s’efforce plutôt d’indiquer le périmètre d’action de la plante concernée. Elle va par exemple, dans le cas de la vulnéraire (Anthyllis vulneraria L.), préciser qu’elle soigne les plaies tout en la déconseillant dans le cas d’une blessure faite par le fer, au motif que cela ne guérira que superficiellement la plaie. La phytothérapie déconseille actuellement encore l’usage de cette plante pour la cicatrisation de certaines plaies. Les nombreux détails de cet ordre sont la preuve d’un savoir affiné et des apports personnels qu’elle inséra dans son œuvre, ne se limitant pas ainsi à jouer un simple rôle de passeuse de savoir.
Il est certain qu’une dimension quasiment légendaire occupe une place dans la littérature critique occultant souvent les ajouts postérieurs et la littérature sur laquelle elle s’est basée mais elle n’en demeure pas moins la source d’une œuvre notable et importante, et qu’elle eût un savoir immense en botanique et en médecine.
Soigner avec Hildegard
Le nouveau thème proposé pour le jardin nous permet de mettre en évidence le monde médiéval dans lequel s’insérait Hildegard von Bingen et l’intérêt majeur d’une œuvre que nous ne cessons de redécouvrir et de réinvestir. Il ne s’agit pas simplement, ici, de ne montrer que les plantes les plus courantes, mais aussi l’œuvre dans sa complexité : on trouve ainsi les plantes qui continuent à être utilisées de nos jours aussi bien que celles qui ne le sont plus, tout en permettant de poser un nouveau regard sur des plantes que nous ne savons plus voir tant, pour nous, elles ne font plus que border les chemins.
Pour ce faire, nous avons travaillé à partir des textes d’Hildegard. Comme nous l’avons dit auparavant, elle n’avait pas une analyse médicale axée sur l’identification même des pathologies, elle s’attaquait plutôt aux symptômes de la maladie. Nous avons tenu à garder cette caractéristique fondamentale de son travail et à le donner à voir afin que le public prenne également la distance nécessaire avec des écrits parfois datés.
Nous avons sélectionné les principales manifestations des maladies que nous pouvons connaître au fil de notre existence et qui apparaissaient dans son œuvre. Nous avons ensuite composé sept carrés axés consacrés à ces maux courants, qui sont :
- Faciliter la digestion
- Faire baisser la fièvre
- Chasser la fatigue
- Aider à la miction
- Réduire les maux de tête
- Combattre la toux
- Accélérer la cicatrisation
Et un huitième qui nous semble important, car il touche à la santé mentale, et que nous pourrions intituler « Congédier les idées noires ». Il était nécessaire d’aborder aussi cet aspect-là de l’œuvre d’Hildegard. De nombreuses plantes ont un effet sur le bien-être et favorisent la joie.
Texte principal : agence DVA (Damée, Vallet & Associés)
Dans le jardin d’Hildegard von Bingen…

Le savoir d’Hildegard von Bingen et les connaissances de son temps
En savoir plus
Plantes contre la toux
La livèche, la lavande commune, la menthe aquatique, la fougère scolopendre, le bec-de-grue…

Plantes pour chasser la fièvre
Le basilic, la guimauve, la pivoine, la garance des teinturiers, l’olivier, la renouée bistorte, l’hellébore noire…

Plantes pour chasser les idées noires
Arum tacheté, hysope, lys blanc, primevère officinale, rosier de Provins, bétoine officinale…

Plantes pour cicatriser
L’achillée millefeuille, le lin cultivé, la verveine officinale, la violette odorante…

Plantes pour combattre la fatigue
Pyrèthre d’Afrique, absinthe, lierre terrestre, mélisse officinale, thym serpolet…

Plantes pour digérer
Ail commun, pyrèthre d’Afrique, souci officinal, carvi, fenouil, réglisse, sarriette annuelle, épeautre, sauge sclarée, lupin…

Plantes pour faire passer les maux de tête
Absinthe, grande aunée, grande mauve, menthe pouliot, sauge officinale…

Plantes pour soulager sa vessie
La fraxinelle, l’iris des jardins, le persil, la tanaisie commune, le géranium des prés…