[Formation] A Royaumont, les chorégraphes « dialoguent » avec les danseurs

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Quatre jeunes chorégraphes ont pris leur quartier d’hiver à l’abbaye de Royaumont. Irénée Blin, Audrey Bodiguel, Antoine Arbeit et Robin Lamothe suivent en effet une formation au long cours intitulée « Dialogues ». Ce programme initié en 2016 leur permet d’interroger leurs processus de travail et plus particulièrement leur relation avec les danseurs.

Soutenu par la Fondation d’entreprise Hermès, Dialogues se compose de trois sessions de travail, deux à Royaumont, puis une au Centre national de danse contemporaine d’Angers, où auront lieu, le 27 juin, les restitutions.

Témoignages des chorégraphes après 8 jours de Dialogues…

Audrey Bodiguel, danseuse et chorégraphe, venue de Nantes : « Cette formation me permet de m’extraire du système de production, de dédier du temps à une réflexion sur ce qui m’est essentiel et nécessaire dans un acte de création, ainsi que sur ce que je mets en place pour y arriver. Dialogues me permet d’affirmer certaines voies que je prends et d’en contourner d’autres, en me disant que je peux essayer de faire autrement. Ce n’est pas souvent qu’on a l’occasion de dézoomer sur sa propre pratique. Dans le monde de la danse, les temps de création sont de plus en plus courts. J’ai l’impression qu’il y a parfois des incompréhensions, des frustrations, entre chorégraphes et danseurs. Il faut savoir se positionner, savoir à quel moment on collabore, à quel moment on se met à disposition de l’autre, on donne de la matière, on lâche cette matière et on voit comment elle évolue, d’un côté comme de l’autre. J’ai l’impression que Dialogues nous permet de mieux nous connaître, de mieux nous placer, de mieux réagir… »

Antoine Arbeit, chorégraphe, venu de Paris : « Concrètement, j’en suis à mon deuxième projet professionnel depuis que je suis sorti d’une école supérieure. Je suis aussi passé par la formation Prototype, qui est vraiment une formation différente. Ici, à Dialogues, on interroge plus notre vision artistique dans son ensemble. C’est la première fois que je me pose la question des modalités d’écriture chorégraphique et de collaboration avec les interprètes. Grâce à cette formation, j’inclus d’avantage l’interprète dans le processus de création. Toute la première semaine, on a parlé du rôle de chacun dans une création. A priori, si on établit des rapports très clairs entre nous, la création se fera dans de bonnes conditions. Mais comment passer d’une création personnelle à une création qui va être portée par un groupe, par un collectif ? C’est certainement une question de dosage de liberté… Royaumont est aussi un lieu pour rencontrer de nouveaux interprètes. Souvent, un chorégraphe en début de carrière fait appel à des gens qu’il connaît déjà. Ce qui est intéressant ici, justement, c’est de se frotter à des gens qui viennent d’ailleurs. Alors, comment créer un groupe qui se comprend ? Dans la création chorégraphique, on est dans des processus très longs et on est obligé d’évoluer toujours tous ensemble. Il faut mettre en place des stratégies pour que ça se passe au mieux, sans pour autant perdre notre idée originelle… »

Irénée Blin, chorégraphe, venue de Pontoise : « Dialogues m’amène à une remise en question de mon rapport avec les interprètes. J’ai 36 ans. Je crée des spectacles depuis déjà plusieurs années. J’avais besoin de remettre en question mon mode de travail avec les interprètes. Au fil des années, on prend des habitudes, on se crée des automatismes qu’il est de temps en temps important d’interroger. Pour cela, il faut d’abord les identifier. En cela, la première semaine de formation a été intéressante parce qu’elle a permis d’en parler. Maintenant que je les ai cernés, est-ce qu’il est possible de faire autrement ? Dans le cadre protégé et accueillant de l’abbaye de Royaumont, on essaie de mettre à nu nos pratiques, pour pouvoir redistribuer les cartes (ou tenter de le faire). Moi, par exemple, j’ai travaillé pendant 10 ans avec les mêmes danseurs. D’ordinaire, quand je fais un geste, le danseur sait où je veux aller. Ici, non. Ici, je rencontre de nouveaux danseurs, à qui je dois donner des indications pour les conduire vers ce que j’ai imaginé. C’est déjà une remise en question. Je m’interroge : qu’est-ce que j’attends, parfois sans le dire ? Comment je le fais savoir ? Qu’est-ce que je n’ai pas envie de dire ? Où puis-je laisser une liberté à l’interprète et où mes choix me semblent-ils fondamentaux ? Voilà les questions qu’on se pose ici… »

Robin Lamothe, chorégraphe, venu de Lyon : « La formation Dialogues m’apporte une assise. En fait, je viens de terminer ma première création. La prochaine devrait être pour l’année prochaine. Il s’agit d’un diptyque : deux pièces sur le même fondement, sous le coup de la même inspiration. La première mettait en scène un duo de danseurs et un musicien. La seconde fera intervenir six interprètes. Le rapport avec les interprètes change. Ici, au cours de la formation Dialogues, je travaille avec quatre interprètes que je ne connaissais pas, alors que mon premier projet chorégraphique, je l’ai monté avec des amis. Avec ces nouveaux interprètes, très différents, j’essaie de trouver un tronc commun pour danser ensemble. Mais la formation Dialogues commence par un temps de discussions et de débats avec des professionnels, chorégraphes et pédagogues. Cette partie un peu plus théorique a été très importante pour moi. Il m’a permis de réfléchir à la place du chorégraphe dans la société, de répondre à des questions qui vont forcément se poser à l’avenir. »


La Fondation d’entreprise Hermès soutient la formation de jeunes chorégraphes à Royaumont : le programme Prototype depuis 2008 et le programme Dialogues depuis 2017.