Lettre des Amis de Royaumont – N° 9 – Juin 2020

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Au sommaire : La Fondation Royaumont reprend vieLes Amis reprennent contact et s’engagentLes Amis profitent de l’abbayeEntretien avec Léo Warynski


La Fondation Royaumont reprend vie

Après l’interruption de la majorité des activités culturelles due à la crise sanitaire, les diverses institutions travaillent aujourd’hui à une réouverture en tenant compte des nouvelles contraintes. Royaumont n’échappe par à la règle. Vous avez peut-être consulté les messages que la Fondation a envoyés pour décrire la situation. Ceux-ci comportaient plusieurs vidéos, en particulier celles de son directeur, Francis Maréchal.

Si la visite du site est de nouveau possible depuis la fin mai, la reprise des activités culturelles et des animations se fera par étapes dans un format allégé. L’accueil des artistes reprendra pour des stages et des projets pendant l’été.

Quant au Festival, il se tiendra bien de septembre à octobre dans un format réduit, aussi bien en nombres de spectacles qu’en nombre de spectateurs, distanciation sociale oblige. Un tarif unique de 10 € sera appliqué pour tous les spectacles.

Voici, en avant-première, une sélection de spectacles s’adressant aux publics les plus divers :

  • 20 septembre, 15h30 : Liebeslieder Walzer de Brahms – Les Métaboles (dir. Léo Warynski), Edoardo Torbianelli, Yoan Héreau (voir l’entretien avec Léo Warynski ci-dessous)
  • 27 septembre, 11h et 14h30 : Oural [Spectacle en famille] – Caroline Grosjean
  • 27 septembre, 15h30 : Inori – Adoration pour un ou deux solistes danseurs (1974) de Karlheinz Stockhausen, avec Emmanuelle Grach et Jamil Attar
  • 10 octobre, 20h30 : L’Ars Nova français – Le Miroir de Musique (dir. Baptiste Romain)
  • 31 octobre, 20h30 : – O SolitudeLe Consort, Paul-Antoine Bénos

Le programme complet sera diffusé très prochainement.

Des animations destinées aux visiteurs seront également organisées certains dimanches d’été.


Les Amis reprennent contact et s’engagent

La conséquence la plus visible sur l’Association des amis de Royaumont a été l’annulation de l’assemblée générale prévue initialement début avril. La reprise d’un fonctionnement « normal » de la Fondation se faisant progressivement, nous avons le plaisir de vous annoncer qu’elle aura lieu le samedi 3 octobre. Pour joindre l’utile à l’agréable, ce sera le même jour qu’un spectacle du Festival.

Il s’agit du concert « Le code de la route », autour de Boris Vian, de l’ensemble Les Lunaisiens animé par Arnaud Marzorati. Prévu à 20h30, il sera également donné à 17h30, afin de pouvoir accueillir plus de spectateurs, la jauge étant réduite à cause des consignes de distanciation. Cette deuxième représentation aura un statut particulier. En effet, cette année, nous désirons accompagner les artistes dont les activités se sont complètement arrêtées et qui n’ont donc plus de revenus. Les Amis de Royaumont financeront donc la représentation de 17h30.

La contribution de notre association à la Fondation Royaumont est importante. Plus que jamais adhérez, réadhérez, faites adhérer ; nous avons besoin de vous pour attribuer des bourses aux jeunes artistes et financer des projets artistiques, pédagogiques et humanistes.

Par ailleurs, pour améliorer la circulation des informations, nous prévoyons de privilégier la communication numérique. En ces temps de difficultés budgétaires, nous comptons réduire les envois de courriers postaux au strict minimum. Cela allégera aussi le travail des équipes de Royaumont. Nous vous conseillons donc de nous fournir votre adresse électronique et de la consulter régulièrement.

Nous comptons sur vous !


Les Amis profitent de l’abbaye

Pendant l’été, l’abbaye sera ouverte à la déambulation et proposera probablement quelques animations. Pourquoi ne pas se donner rendez-vous à certaines dates pour prendre un verre ensemble à la terrasse du bar (qui sera probablement élargie) et discuter de nos projets ?

Restez à l’écoute, par les moyens électroniques bien sûr, pour recevoir toutes les informations et les dates retenues.


Entretien avec Léo Warynski

[Nous avons rencontré Léo Warynski à l’automne 2019. Une partie de la conversation a tourné autour des projets pour 2020 et au-delà. Plusieurs mois sont passés et la crise sanitaire a tout bouleversé. Nous avons actualisé certains propos et indiqué en italiques quelques changements et incertitudes.]

Un concert de préfiguration, une implication dans l’Académie Voix Nouvelles et maintenant une résidence de trois ans inaugurée par un concert : le chœur Les Métaboles a trouvé sa place à Royaumont. Son directeur musical Léo Warynski nous explique d’où il vient et quelle est sa démarche.

Léo Warynski : « Je suis alsacien. J’ai commencé la musique à 6 ans dans la maîtrise de garçons de Colmar, où j’habitais et j’ai donc appris la musique par le chant. J’avais classe le matin et musique l’après-midi. Cette formation très complète, qui comprenait des cours de chant, de solfège, de piano et de culture musicale, a duré 8 ans. J’ai aussi étudié le violoncelle et j’ai fait de l’orchestre. Mon orientation musicale s’est dessinée très vite : je suis entré au conservatoire à Paris où j’ai appris la direction d’orchestre et la direction de chœurs.
Après quelques années, j’ai voulu disposer de mon propre ensemble pour pouvoir décider des programmes en toute liberté, ce qui n’est pas souvent le cas en tant que chef invité. En 2010 j’ai donc créé les Métaboles. Je voulais un chœur de haut niveau pour pouvoir aborder un programme large comprenant beaucoup de musique du XXe et du XXIe siècles : c’était la musique que j’avais beaucoup chantée enfant, c’est une musique que j’adore et qui n’est pas assez jouée. C’est la raison pour laquelle le premier concert des Métaboles en résidence à Royaumont était un concert a cappella avec un programme qui défendait la musique de toutes les époques [concert Angels du 7 septembre 2019 avec Jonathan Harvey, Jack Sheen, Palestrina, Byrd et Purcell].
Les Métaboles défendent la musique de toutes les époques. Lorsqu’on est chef de chœur, on a mille ans de répertoire, alors que comme chef d’orchestre, on n’a que 3 à 4 siècles environ. Et tous ces chefs-d’œuvre nous parlent encore. On peut donner à la fois un organum de Pérotin qu’on met en relation avec une œuvre de Steve Reich ou la dernière création de Francesco Filidei ou de Bruno Mantovani. Et ça marche très bien. »

C’est ce qui était si réussi lors de votre concert Angels dans lequel on ne savait plus dans quelle œuvre on était…

Léo Warynski : « J’avais dit aux chanteurs de faire en sorte que le public n’applaudisse pas entre les morceaux, de prendre leurs notes discrètement pour que le public ne se rende pas compte qu’on passait tout à coup d’un siècle à l’autre et se laisse embarquer. C’est un effet proche de l’hypnose qu’on peut faire avec un chœur.
Avec Les Métaboles, je peux aborder tous les répertoires avec le même bonheur. Pour cela il a fallu que je m’entoure de très bons chanteurs. Nous avons commencé avec des amis qui me faisaient confiance autour de projets. Les moyens sont venus progressivement. Des mécènes sont arrivés : la Société générale, la Fondation Orange, la Caisse des Dépôts. Puis il y a eu des partenaires comme certains festivals, le Festival Musicales de Normandie qui nous a invités, la Philharmonie de Paris, la Fondation Royaumont. »

Comment s’est déroulée l’Académie Voix Nouvelles de 2019, lors de laquelle vous avez créé plusieurs œuvres écrites par les jeunes compositeurs ?

Léo Warynski : « La quasi-totalité des œuvres composées pour le chœur était de bon niveau, toutes les œuvres avaient quelque chose. Leurs esthétiques ne sont pas toutes passionnantes mais ils savent tous composer et ils ont tous travaillé. C’était une bonne promotion de Voix Nouvelles.
Les professeurs de l’Académie leur ont donné de bons conseils : ce sont des professionnels, très précis, très intéressants, en particulier dans le travail avec les musiciens. Frank Bedrossian par exemple sait trouver une idée pour sauver une pièce : il a imaginé de spatialiser une pièce en répartissant les chanteurs dans la salle, ce qui lui a immédiatement donné une grande profondeur et l’a fait remarquer. Il faut profiter des possibilités de spatialisation qu’offre le réfectoire des moines.
Dans tous les répertoires, certaines œuvres sont écrites pour être jouées ou chantées de manière spatialisée. C’est le cas avec Charpentier : si sa Messe des morts à 4 voix doit être interprétée de manière frontale, son Salve Regina à 3 chœurs est conçu à tous les niveaux pour être spatialisé : carrure simplifiée, rythme harmonique plus lent… Cela permet d’éloigner les chœurs les uns des autres. Nous l’avons donné ainsi dans un récent concert. Les grands compositeurs sont toujours très précis : ils pensent à tous les détails, ils contrôlent tout, en particulier au moment de la gravure des partitions. »

Vous nous avez confié qu’une œuvre vous avait particulièrement marqué lors de l’Académie Voix Nouvelles de 2019.

Léo Warynski : « Oui, l’œuvre de Mauro Hertig. [NDLR : voir Impressions du Festival de Royaumont 2019 dans la Lettre des Amis N° 8]. C’est la première fois, de toutes les académies que j’ai faites, que je garderai une partition à la fin d’une académie en me disant que je la referais. Cela s’était déjà produit avec la pièce pour ensemble de Francesco Filidei, Finito ogni gesto, créée à Royaumont, qui est maintenant une pièce du répertoire, jouée partout. La pièce de Mauro Hertig peut s’adapter à des lieux différents, on la spatialise en fonction du lieu, on change le texte. Je sais que je pourrai la redonner.
Quand une œuvre comme celle-ci arrive entre les mains de chanteurs professionnels, ils se rendent compte que c’est quelque chose d’exceptionnel. C’est la seule œuvre que nous avons travaillée en dehors des heures balisées de répétition : nous nous sommes réunis, nous avons travaillé, nous avons pris des points de repère. C’était tout à fait spontané de la part des chanteurs : ils ont senti qu’ils devaient le faire, ils se sont rendu compte que c’était difficile et que l’œuvre en valait la peine. Je les ai rejoints et nous avons travaillé.
Un problème fondamental des jeunes compositeurs est de trouver leur place face aux chefs-d’œuvre. Il faut oser composer des œuvres qui exploitent toutes les possibilités des interprètes. Certains n’y arrivent pas. »

Qu’attendez-vous de votre résidence à Royaumont ?

Léo Warynski : « Maintenant que l’ensemble est bien lancé, il faut le consolider sur des bases artistiques et je veux mener à bien les projets que j’ai en tête. Un jeune ensemble a plein d’idée mais n’a pas les moyens de les réaliser. Il faut toujours convaincre les programmateurs d’être partenaires. La résidence à Royaumont nous donne de la liberté et la possibilité financière de mener les projets que nous avons en tête et aussi un temps très privilégié de travail. Alors qu’on nous demande toujours d’aller très vite pour être le moins cher possible, Royaumont a une politique de temps donné pour les interprètes avec une programmation soutenue permettant de faire beaucoup de programmes.
Royaumont a beaucoup de départements : Création musicale, Voix et répertoire et Création chorégraphique ; et j’aimerais travailler avec chacun d’entre eux. Ils sont tous très intéressants parce qu’ils ont à leur tête des spécialistes du répertoire qui ont des idées très précises des programmes qu’ils veulent aborder. C’est ce que j’aimerais faire de la résidence des Métaboles à Royaumont. »

Comptez-vous vous appuyer sur les bibliothèques et la musicologie ?

Léo Warynski : « Absolument. C’est un musicologue, en relation avec Royaumont qui m’a parlé du répertoire de Camille Saint-Saëns : le département répertoire de la Fondation aimerait le mettre en avant en 2021, avec également certaines œuvres de Liszt.
L’année prochaine, au Festival de Royaumont, nous allons donner un programme autour des Liebeslieder Walzer de Brahms en partenariat avec Edoardo Torbianelli, pianiste en résidence à Royaumont, qui est un spécialiste du piano d’époque et du pianoforte. On m’avait parlé de cette œuvre depuis un certain temps mais je me demandais ce que les Métaboles pouvaient y apporter alors que de nombreux ensembles l’avaient déjà si magnifiquement interprétée. Edoardo Torbianelli travaille Brahms avec des pianos historiques, ce qui change complètement le son. Nous allons travailler sur l’interprétation de ce répertoire, sur la façon de jouer le piano en fonction de ce que l’on connaît de la vocalité de cette époque. Ce seront des Liebeslieder Walzer historiquement informées. »

Qu’en est-il du volet de la transmission ?

Léo Warynski : 
[Léo Warynski et les Métaboles devaient organiser en juillet 2020 une formation de chefs de chœurs, suivi d’un concert lors du Festival, qui est malheureusement annulée.]
« Le projet consiste à donner aux chefs de chœur la possibilité de travailler avec un ensemble professionnel, ce qu’ils ne peuvent pas faire souvent lors des formations en conservatoire. Je désire aussi les faire travailler sur la musique ancienne avec la reconstruction d’une messe de Benevolo à quatre chœurs et sur le répertoire contemporain avec une création.
Nous prévoyons aussi d’aborder, sous forme de modules et de conférences, différents aspects de la vie d’un ensemble : les règles, le fonctionnement de l’intermittence, le recrutement, la constitution d’un programme, le financement, la recherche de partenaires. De mon côté, j’ai appris sur le tas et je regrette que cela n’ait jamais été abordé au conservatoire où on ne travaille que les partitions. La direction ne représente que 10 % du métier ; le reste c’est du travail de management, de répétition, de construction du répertoire et aussi de financement. »

Avez-vous des projets avec le jeune public ?

Léo Warynski :
[La faisabilité du projet suivant est à l’étude.]
« Oui, grâce au pilotage dynamique de Marina Zinzius à Royaumont [NDA : Marina est directrice de l’action territoriale à la Fondation Royaumont], notamment avec des ateliers à l’intention des maternelles et des primaires.
Lors d’une journée à Royaumont, un ou une chef de chœur et 4 chanteurs des Métaboles animent des ateliers d’expression corporelle et de musique : il y a de l’écoute, de l’imitation, du chant, des canons. Nous voulons travailler avec une classe, lui faire apprendre un chant de Murray Schafer et organiser un concert en collaboration avec ces jeunes. »
[Initialement le projet suivant était prévu pour 2021.]
« Autre aspect, j’aimerais bien que l’année prochaine les Métaboles soient une locomotive en tant qu’ensemble professionnel pour les chœurs amateurs de la région, qui sont nombreux. Nous avons un grand projet collaboratif avec plusieurs chœurs de la région et les Métaboles pour un concert de Noël. Je pense faire appel à un compositeur qui a participé à l’Académie Voix Nouvelles, probablement Basile Chassaing. »

Continuerez-vous à participer à des créations ?

Léo Warynski : 
[La faisabilité du projet suivant est à l’étude.]
« Nous envisageons une résidence « incubateur » pour un projet chorégraphique avec les Métaboles. Ce serait une résidence de travail pendant quelques jours avec un danseur ou une danseuse, un ou une  chorégraphe, un ou deux chanteurs et moi : ce projet collaboratif avec les danseurs permettrait de voir si le chœur peut danser, se déplacer. Il faudra expérimenter, choisir un répertoire. J’ai été frappé par une très belle proposition du programme Prototype [NDA : Cycle de formation du Programme Recherche et Composition Chorégraphiques], que je suis allé voir l’année dernière. Pour faire vivre ce projet, il faut que je m’appuie sur une compagnie, sur une ou un chorégraphe, qui a un réseau de diffusion. Et il faudra des moyens importants. »

Quelles sont les activités de l’ensemble instrumental Multilatérale que vous dirigez parallèlement ?

Léo Warynski : 
[L’actualité de Multilatérale a été riche en début d’année 2020 avant le confinement et l’arrêt des autres projets.]
« J’ai une activité importante avec cet ensemble. Nous avons sorti un disque avec de superbes musiques de Grisey, Romitelli, Murail, Yann Robin. Nous l’avons appelé « J’ouïs », passé simple du verbe ouïr. Ce titre un peu provocateur correspond à l’idée de sons, d’expériences sonores, de jouissance sonore. En février, nous étions au Festival Présences de Radio France. »

Quelles œuvres aimeriez-vous inscrire au programme de vos prochains concerts à Royaumont ?

Léo Warynski : « Pourquoi pas un concert de fin de résidence avec des œuvres marquantes dans l’esprit du premier grand concert des Métaboles à Royaumont il y a deux ans, dans lequel nous avions donné Rothko Chapel de Morton Feldman, qui sonnait particulièrement bien à Royaumont. En première partie, nous avions joué Know what is above you de Steve Reich pour 3 voix de femmes et percussion, une espèce d’organum à la façon du plein chant de Pérotin et Léonin, une œuvre extraordinaire que j’aimerais bien refaire. J’ai un très bon souvenir de ce concert. »

Royaumont nous donne l’opportunité de rencontrer des artistes comme vous, de suivre et d’apprécier votre travail. Quel est votre ressenti de ces contacts ?

Léo Warynski« L’activité des Amis de Royaumont est très importante pour nous tous. Quant à la résidence, elle doit être à l’image de ce qu’est Royaumont, la plus variée possible. Et quel lieu magique !  »

Propos recueillis par René Beretz