Lettre des Amis de Royaumont – N° 11 – Décembre 2020

Partager

Au sommaire : Réouverture de la librairie-boutique | Un don en fin d’année ?Les activités de l’action territoriale de RoyaumontLe projet La Fontaine en musiqueFidelio ou le repentir de Beethoven


Réouverture de la librairie-boutique

La librairie-boutique de Royaumont a à nouveau ouvert ses portes le samedi 28 novembre à 10h !
Depuis, elle accueille le public du vendredi au dimanche, de 10h à 12h45 et de 13h45 à 17h30, en attendant la réouverture complète, 7 jours sur 7, de l’abbaye.

Faites des achats responsables tout en évitant les files d’attente, en toute sécurité et en toute tranquillité !

La librairie-boutique de Royaumont est un commerce de proximité indépendant.
Les Amis de Royaumont y ont un tarif réduit.
L’ensemble des bénéfices de la librairie-boutique contribue à financer des actions en faveur du patrimoine, des enfants et des artistes.
Florent nous attend pour nous faire découvrir ses nouveautés, sa sélection de fin d’année et plus de 4 000 références dans les différents rayons (livre, musique, papeterie, jeux, décoration, bien-être, bijoux…).


Un don en fin d’année ?

L’Association devait organiser le 13 décembre 2020 le traditionnel dîner des Amis de Royaumont.
Ce temps fort a réuni en 2019 170 convives à l’abbaye autour d’un concert de jeunes boursiers de l’Association et d’un repas concocté par notre Chef.
Compte tenu de l’incertitude sur les modalités de sortie du re-confinement, l’Association a pris la décision d’annuler cet événement, privant ainsi les Amis, et donc la Fondation, de 6 500 € de recettes nécessaires au financement de bourses promises à des jeunes talents en formation à Royaumont.
La décision du re-confinement jusqu’au mois de décembre vient encore davantage perturber la fin d’année de la Fondation Royaumont, qui a été contrainte de fermer l’abbaye dès le 30 octobre à la plupart de ses usagers.
Pour autant, l’Association souhaite en cette période troublée maintenir ses actions auprès des bénéficiaires de son soutien.

Dans ce contexte inédit et périlleux, l’Association propose à ses adhérents de la soutenir en effectuant au choix deux contributions exceptionnelles :
> 59 € (don de 40 €, achat du CD « Le chant de la terre » à 19 €) – déduction fiscale sur la base de 40 € : coût net pour le donateur : 32,60 €
> 40 € (don de 25 €, achat du CD « Le chant du violoncelle » à 15 €) – déduction fiscale sur la base de 25 € : coût net pour le donateur 28,50 €

Chaque donateur recevra la nouveauté discographique qu’il a choisie parmi celles de la librairie-boutique : soit « Le chant de la terre », nouvelle version du chef-d’œuvre de Gustav Mahler, présentée au Festival 2020 (en savoir plus), soit « Le chant du violoncelle », restitution d’un concert donné par Edoardo Torbianelli et Fernando Caida Greco au Festival 2017 (en savoir plus).
Comme la plupart de vos commerces de proximité et toutes les librairies indépendantes, la librairie, très fréquentée par les Amis de Royaumont, a été contrainte de fermer jusqu’au 28 novembre, avec un libraire au chômage technique, comme les autres salariés de Royaumont : en répondant à notre proposition, vous contribuez également à redonner vie à la librairie.

Cette année encore, vous pouvez bénéficier d’une déduction de 66 % de votre don de votre impôt sur le revenu 2020.
Dans les deux cas, l’Association vous enverra un reçu fiscal dès réception de votre don.


L’action territoriale, une activité essentielle de la Fondation Royaumont

par René Beretz

Dans le cadre apaisant du monument et des jardins, l’abbaye de Royaumont accueille des activités variées : visite du site, animations, stages et spectacles destinés à des publics variés. Parmi celles-ci l’action territoriale, peu médiatisée en dehors des réseaux concernés, est une mission majeure de la Fondation.

Les objectifs

Les objectifs de l’action territoriale consistent à faire venir à l’abbaye et profiter de sa programmation culturelle et artistique un public qui ne viendrait pas spontanément. Il s’agit du jeune public, soit en groupe soit à titre individuel, mais aussi ce qu’on appelle les publics « empêchés », que ce soit pour des raisons sociales, de profils socioprofessionnels ou autres. « Nous avons travaillé au fil des ans avec des publics du champ de l’insertion, le public familial, des publics issus des centres sociaux de villes partenaires de l’est du département ou de l’agglomération de Cergy », explique Marina Zinzius, directrice de l’action territoriale à la Fondation Royaumont.

« Il y a aussi l’enjeu du lien de Royaumont avec son territoire », ajoute-t-elle. « Au-delà du public intéressé spontanément par le patrimoine, ou par le type de programmation proposé dans le cadre du Festival ou d’autres manifestations, nous tentons aussi d’ouvrir notre programmation et le site au public des territoires proches de Royaumont, que ce soit en zone rurale ou en zone urbaine sensible des territoires à la limite du Val d’Oise et de l’Oise. » Paradoxalement, ce ne sont pas les gens les plus proches qui fréquentent Royaumont ; les publics spécialisés peuvent venir d’un peu plus loin. Outre cette nécessité d’un équilibrage territorial, il faut aussi réaliser un équilibrage social : c’est un enjeu de renouvellement concernant les jeunes générations.

Les équipes

La direction des publics et de la communication s’intéresse à la fréquentation du monument par les groupes et le public individuel. Parallèlement à ce travail de promotion générale en direction de plusieurs réseaux, Marina Zinzius mène une action destinée à quelques structures qui relèvent du même domaine : « les actions que je mène constituent le fer de lance de la mise en relation avec des réseaux que nous cherchons à toucher à travers des actions de prospection plus globale. Par exemple, à côté des informations générales destinées à des conservatoires ou des chorales amateurs, je mène des actions ciblées avec certains conservatoires ou avec certains chœurs amateurs. Mais l’objectif est commun : les inciter à assister au Festival. »

Les différents types d’action

La manière la plus simple de toucher un public dans un domaine particulier est une fréquentation ponctuelle pour une activité de nature artistique : un atelier ou la venue pour un spectacle en famille ou un spectacle scolaire. Une programmation ciblée vers ce public a été récemment intégrée au Festival, à côté de la programmation générale du Festival destinée à un large public.

Mais il existe toute une gamme de projets comportant plusieurs séances avec les publics concernés. Ils impliquent en moyenne 3 à 4 rencontres : ils font alterner des séances avec les publics sur leur propre site et des moments où ils viennent à Royaumont. Les projets les plus ambitieux, comme les concerts participatifs, nécessitent plusieurs rendez-vous de préparation avant le démarrage effectif du projet qui comprend souvent 5 à 6 séances. Chaque projet implique toujours au moins une séance à Royaumont. Il y a beaucoup de variété d’une année à l’autre : à côté de quelques projets très réguliers, des projets spécifiques émergent chaque année.

Les classes en résidence

Le dispositif historique le plus ancien de l’action territoriale est celui des deux classes en résidence. Ce projet de 5 jours touche des classes du Val d’Oise mais aussi de l’Oise. Il est animé généralement par deux artistes et comprend typiquement un rendez-vous d’introduction et plusieurs journées résidentielles à Royaumont. Il se termine le cinquième jour par un moment de restitution, traditionnellement ouvert aux familles.

Existant depuis les années 80, ce dispositif a évolué pour intégrer à la dimension artistique une dimension liée au patrimoine ou aux jardins comme les archives photos de l’hôpital de guerre, un aspect de l’architecture ou de l’histoire du Moyen Âge, des collectes au jardin… À partir d’une recherche sur un aspect de l’histoire du lieu ou du lien au végétal, les enfants s’expriment à travers deux langages artistiques pour donner lieu à une restitution croisée et à un travail en demi-groupes autour de ces enjeux.

Un bon exemple de classe en résidence est le projet en cours de la musicienne Emmanuelle Lizère, qui est venue présenter « Le murmure des arbres » au Festival. C’est un travail croisé de création sonore, musicale, et de création à travers différentes techniques d’art plastique, notamment des encres végétales et fabrication de supports. Les élèves sont venus en octobre faire un travail de collectage sur le site de Royaumont puis, après une deuxième journée à l’école, ils devraient revenir, en janvier 2021 pour prolonger ce travail de production artistique. Ce genre de projet s’adresse généralement à des grands primaires, ici une classe de CM1-CM2.


Jocelyn Mienniel

Dans le cadre de la convention de partenariat avec la ville de Gonesse renouvelée pour la quatrième fois pour trois ans, la ville bénéficie d’une des deux classes en résidence de Royaumont. Deux spectacles de la programmation des ensembles en résidence ou des artistes associés à Royaumont sont accueillis dans la saison culturelle de la ville et, autour de cette diffusion, des actions sont organisées autour des publics locaux. Action malheureusement suspendue, Circles de Jocelyn Mienniel était pressenti pour être programmé dans la saison culturelle de Gonesse suite à sa création dans le Festival. Des actions étaient prévues en direction du conservatoire de la ville. Dans le cadre de la convention, sont prévus un programme d’intervention en atelier périscolaire avec des artistes et une sortie de familles à Royaumont dans le cadre du dispositif d’été de la ville pour une cinquantaine de personnes de toutes générations autour d’un thème d’atelier, d’une visite contée chaque année en juillet-août.

Les autres projets réguliers

Parmi les autres projets réguliers, les parcours scolaires du Festival de Royaumont en partenariat avec la communauté d’agglomération Roissy Pays de France concernent une trentaine de classes autour d’un parcours d’école du spectateur. Cinq projets artistiques de musique et de danse s’adressent à deux tranches d’âge : maternelle-CE1, CM1-CM2. Chaque classe a droit à un atelier animé par les artistes dans les écoles et à une journée à Royaumont de jeux-parcours et de concerts scolaires. Le projet se concentre sur les mois de septembre et octobre, au moment de la rentrée scolaire et du Festival. Roissy Pays de France prolonge l’ancienne relation que Royaumont a avec le territoire urbanisé comprenant 42 villes aux 3/4 dans l’est du Val d’Oise et à 1/4 en Seine-et-Marne. En outre, un ou deux programmes sont diffusés sur le territoire, soit pendant le Festival soit en dehors. Le projet La fontaine en musique en est un bon exemple (lire ici).

Un autre projet régulier concerne la communauté de communes Carnelle Pays de France, cet ensemble de communes rurales dont fait partie Royaumont. 50 à 60 classes par an viennent sur le site de l’abbaye pour une journée d’atelier-éveil de musique, danse, patrimoine ou jardin.

De nouveaux projets chaque année

De nouveaux projets voient le jour chaque année. En 2019, le projet Point d’orgue en collaboration avec la Philharmonie de Paris a réuni plusieurs chœurs d’enfants avec une restitution pendant le Festival. Pendant la saison 2020-2021, un projet animé par l’ensemble vocal Les Métaboles signera la clôture de sa résidence à Royaumont autour d’une pièce pédagogique commandée au compositeur Basile Chassaing, qui faisait partie de l’académie Voix Nouvelles 2019. Elle réunira les Métaboles, 90 choristes amateurs de toutes générations : un chœur d’adultes et trois chœurs d’enfants issus du milieu scolaire, ainsi que l’orchestre de Normandie. Un autre projet en collaboration avec la Philharmonie de Paris est à l’étude pour 2021-2022 autour de la création pour orgue et voix.

Un nouveau projet sur la musique et le handicap démarre dans le cadre de l’entrée en résidence de la flûtiste et compositrice Naïssam Jalal. Il fait intervenir de nombreux partenaires dont le théâtre du Cristal, dirigé par Olivier Couderc, qui est une des compagnies les plus anciennes en France faisant appel à des comédiens handicapés en statut de salariés. Sont également concernés trois groupes associant des conservatoires et des structures accueillant des publics handicapés, adolescents et adultes, sur le territoire du Val d’Oise. Ils vont écrire une trame de spectacle musical fortement inspiré par les lieux de Royaumont et par son acoustique, tout en développant un travail de création sonore, instrumentale et vocale s’adaptant aux possibilités de mémorisation et aux possibilités de chacun.


Naïssam Jalal

Naïssam Jalal va mener un projet d’atelier vocal avec certaines de ces structures et travailler sur un projet de « rituels de guérison » qui aura un impact sur la création qu’elle va présenter dans le Festival 2021. Ces publics devraient ainsi trouver le chemin d’accès au Festival. « C’est l’exemple d’une action conçue avec les partenaires sur un enjeu complètement nouveau dans la recherche du bon format d’intervention et de la bonne source d’inspiration avec une artiste qui se prête à cet exercice. Les musiques chorales et improvisées s’adaptent aussi bien à des publics non musiciens qu’à des publics attirés plus spontanément par l’oralité que par la musique écrite », souligne Marina Zinzius.

Enfin, toujours pour 2021, la Camera delle Lacrime devrait revenir à Royaumont dans le cadre de son projet de web-série réalisé en partenariat avec les écoles de différents lieux du patrimoine médiéval en France. Une classe CHAM (classes à horaires aménagés musicales) de Creil dans le cadre d’un partenariat avec l’Oise y participerait.

Des financements variés

« Le financement de ces actions est un mille-feuille subtil entre financement public et privé », explique Marina Zinzius. Certaines subventions publiques sont fléchées vers des actions précises comme celle d’environ 10 000 € annuels de l’inspection académique du Val d’Oise répartie entre les différentes actions scolaires. Des demandes de subventions au titre de la « politique de la ville » sont déposées régulièrement pour agir sur les territoires éligibles à ces crédits sur différents types d’action. Le mécénat a une importance considérable, voire même exclusive pour certaines actions, comme celles de Carnelle Pays de France : c’est un équilibre entre le mécénat de la Fondation Engie et du Comité Henry Goüin et l’aide directe perçue dans le cadre de la convention avec Carnelle Pays de France. Le dispositif scolaire de Roissy Pays de France est plus coûteux car il comprend une programmation de spectacles en plus des journées d’atelier. Aux moyens accordés par Roissy Pays de France et au mécénat s’ajoute un volant de subventions publiques venant de la Région et de l’inspection académique.

Un partenaire très important devenu mécène pilier de l’action territoriale est la SCAPNOR mouvement Leclerc Nord-Ouest Ile-de-France, sensible à un rayonnement territorial qui conforte sa propre implantation dans le Val d’Oise et le sud de l’Oise.

Les Amis de Royaumont apportent régulièrement une contribution aux actions jeune public qui se déroulent sur le site de l’abbaye : ateliers, activités pour les familles ou parents-enfants en vue de la fidélisation des publics du site.

Royaumont, lieu culturel structurant du Val d’Oise

Royaumont est un des lieux culturels structurants du département, surtout dans le champ de la musique et de la danse mais aussi du dialogue avec le patrimoine. « Nous permettons à des partenaires du territoire d’accéder à un réseau d’artistes que nous connaissons en tant que spécialistes de la programmation musicale et de la danse contemporaine, alors que les programmateurs généralistes des collectivités ont du mal à aborder ces domaines » remarque Marina Zinzius.


Esther Labourdette et des collégiens

Le site se prête bien à des restitutions de projets départementaux. Par exemple, à la demande du département du Val d’Oise, Royaumont s’associe à un projet destiné à 8 conservatoires de l’agglomération de Cergy autour de la découverte des musiques médiévales. Esther Labourdette, lauréate de la Fondation, et deux autres artistes du réseau de musique médiévale ont mené des ateliers de formation d’enseignants et de professeurs des conservatoires et vont intervenir dans les conservatoires. Royaumont servira de cadre aux restitutions de fin de projet qui seront présentées en mai 2021 dans le cadre d’un Dimanche à Royaumont.

« Le lieu convient bien à un rassemblement d’environ 70 participants dans l’écrin acoustique du site pour les musiques anciennes. Le côté un peu hors sol de Royaumont crée un effet de neutralité par rapport aux réseaux départementaux » note Marina Zinzius. Mais lorsque l’exigence scénique est trop importante à cause d’un large effectif ou de besoins particuliers de coulisses ou d’éclairage, Royaumont monte des projets dans des lieux plus adaptés hors les murs de l’abbaye.

La formation à la médiation, tremplin de la carrière des artistes

Tous les artistes en résidence à la Fondation participent à des projets destinés aux publics du territoire proche. Mais alors que les chorégraphes et danseurs ont souvent une expérience antérieure de l’action territoriale et qu’ils adaptent facilement au contexte de Royaumont, la conduite d’ateliers ou de projets en direction de non-musiciens est souvent un véritable défi pour les musiciens. Ils doivent trouver des moyens pour faire participer et intégrer un public qui ne lit pas la musique, construire par exemple des partitions graphiques, trouver une manière de sensibiliser à une musique de répertoire au moyen de la voix ou d’un travail de rythme, faute de travail sur un instrument.

En 2021, l’enjeu est de développer un programme de formation à la médiation basé sur la réalité des expériences menées depuis de nombreuses années. L’expérience vécue par la participation à l’action territoriale de Royaumont est très souvent décisive pour l’accès des artistes à une forme d’insertion professionnelle. Des musiciens pratiquant exclusivement une activité de concerts n’intéressent que des réseaux spécialisés. Mais si, autour d’un répertoire, ils ont inventé des démarches innovantes pour transmettre leur goût et leur savoir-faire à un vaste public, ils vont intéresser des réseaux généralistes concernés par une thématique culturelle plus large.

« Nous portons une attention particulière aux artistes en résidence parce qu’on peut construire avec eux une relation sur trois ans propice au temps et au rythme du montage des projets. Mais nous entretenons aussi un lien avec les lauréats des stages de formation dans une sorte de mission d’insertion professionnelle : aux temps de formation spécialisée s’ajoute une information plus systématique sur l’existence de la mission territoriale » conclut Marina Zinzius.


La Fontaine en musique

par René Beretz

À l’automne 2020, des artistes impliqués dans plusieurs spectacles du Festival sont intervenus dans des classes de la communauté d’agglomération Roissy Pays de France pour plusieurs projets de l’action territoriale. En particulier, l’ensemble Le Consort a animé un projet intitulé « La Fontaine en musique » qui a concerné 7 classes, du CE2 au CM2.

Le Consort est en résidence pour 3 ans à la Fondation Royaumont : en clôture du Festival, il a donné un concert avec le contre-ténor Paul-Antoine Bénos le 31 octobre sans public, dont la captation est disponible en ligne sur le site de la Fondation.

Aux musiciens de l’ensemble le Consort : Théotime Langlois de Swarte, violon, Sophie de Bardonnèche, violon, Louise Pierrard, viole de gambe, Justin Taylor, clavecin, s’étaient joints pour ce projet Victoire Bunel, mezzo-soprano, et Manuel Weber, comédien.

Les ateliers

Manuel Weber et Victoire Bunel ont animé des ateliers dans des écoles, alternant jeux vocaux et exercices de théâtre. Certaines classes ont travaillé la version chantée de la fable Les deux chèvres. Victoire Bunel en rappelle l’origine : « Nous avons eu à cœur de réaliser un projet comportant un volet de médiation et d’inclusion des classes du territoire. Il nous permet d’étudier un répertoire qui nous plaît énormément. Et, pour les enfants, c’est une très belle approche des Fables de La Fontaine avec de nombreuses facettes de la musique qu’on interprète : les textes, la déclamation baroque, la musique baroque, nos instruments, le chant. »

Certains enseignants ont présenté les instruments baroques aux enfants, ils leur ont fait écouter du violon, du clavecin, ils leur ont fait travailler quelques fables. Chaque intervenant a organisé ses ateliers de son côté, par demi-classes. Les enfants ont apprécié ces moments : « Ce sont des ateliers assez ludiques qui les changent beaucoup. Je mets les enfants en rond, je les fais participer. Je leur fais faire un échauffement corporel avec des étirements, je les fais chanter. Au début les plus timides n’y arrivaient pas puis au fur et à mesure leur corps s’est ouvert. À la fin, ils sont venus nous voir les yeux écarquillés en disant « j’ai adoré, j’ai senti que je pouvais m’exprimer, je pouvais dire plein de choses, ça m’a procuré beaucoup de joie. » » se rappelle Victoire Bunel.

Le concert

Le 12 octobre 2020, les 7 classes sont venues à Royaumont pour une journée comprenant un jeu-parcours de découverte de l’abbaye, une représentation du spectacle en écho avec l’atelier et un temps de pique-nique. Les artistes ont donné le spectacle 3 fois dans la journée, pour 2 ou 3 classes à la fois. Nous avons assisté au deuxième.

Le plus souvent, le comédien commence par déclamer la fable. Puis les musiciens et la chanteuse jouent la même fable dans la version de Clérambault dans laquelle le texte est souvent modifié. Certaines fables sont ponctuées par des musiques de Dandrieu, que l’ensemble a enregistrées dans son premier disque. Pour certaines, les musiciens deviennent aussi comédiens. À chaque représentation, les musiciens et acteurs font encore évoluer le spectacle. Ils interprètent les fables suivantes : Le corbeau et le renard, Le lion amoureux, Le lièvre et la tortue, Le loup et l’agneau, Le loup et le chien, Les deux chèvres.

Quand le concert a démarré, certains enfants ont été surpris et désarçonnés et se sont mis à rire, tout excités d’être là, d’entendre tout d’un coup des voix déclamées, des voix projetées. À la fin du concert, les artistes ont invité les enfants à reprendre avec eux la version chantée des Deux chèvres qu’ils avaient apprise, ce que certains ont fait. « Les élèves étaient plutôt réservés et ne participaient pas », se rappelle Victoire Bunel : « quand les violons ont commencé à jouer, certains avaient des petites étoiles dans les yeux en regardant les violons et ils avaient un sourire béat : cela fera peut-être naître des vocations instrumentales. Et à la toute fin, quand ils sont sortis, nous avons eu un échange extrêmement riche avec eux. Ils nous ont posé énormément de questions, ils demandaient ce que signifiait telle ou telle note sur la partition que j’avais entre les mains : ils voulaient un cours de solfège en direct ! »


Fidelio ou le repentir de Beethoven

par Benoît Desouches

À l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven, notre érudit collègue Benoît Desouches, secrétaire du conseil d’administration des Amis de Royaumont, a rédigé une chronique sur l’histoire mouvementée de son opéra Fidelio.

Un repentir est en peinture une partie du tableau qui a été recouverte par le peintre pour modifier en profondeur la toile. Par extension, le terme est utilisé en gravure et même en sculpture et en littérature. Nous allons voir ci-après comment ce terme peut être utilisé en musique et s’appliquer à l’unique opéra de Ludwig van Beethoven, Fidelio.

Plusieurs personnages dans cette histoire : Beethoven bien sûr mais aussi Jean-Nicolas Bouilly, Pierre Gaveaux, Simon Mayr, Ferdinando Paër, et en filigrane l’empereur Napoléon Bonaparte…!

Tout commence en France dans une prison de Tours au cours des heures sombres de la Terreur, cette époque de vie précaire, d’emprisonnements arbitraires (ou sur dénonciations) et de guillotines ensanglantées. Une femme se déguise en homme pour entrer dans une prison de Tours où son mari est détenu et obtient sa libération. C’est le point de départ de notre histoire.


Jean-Nicolas Bouilly

À ce moment-là un des commissaires de la Révolution à Tours se trouve être Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842), tourangeau de naissance, avocat au Parlement de Paris après des études de droit à Orléans, et parallèlement auteur de théâtre, alternant sa carrière entre le barreau et les planches. Témoin de ce fait divers, il en fait une pièce de théâtre Léonore ou l’amour conjugal (1794) qui remporte un vif succès. Son instinct de dramaturge (il écrira des livrets pour les opéras de Grétry, Méhul, Cherubini et Dalayrac) lui fait pressentir un bon sujet d’opéra car en ces temps troublés le thème des « opéras de sauvetage » est très prisé.

Il s’adresse alors à Pierre Gaveaux (1761-1825), chanteur et compositeur né à Béziers, ayant commencé sa carrière à Bordeaux, Montpellier et dans le Midi avant de briller à Paris par ses talents vocaux (ténor et haute-contre), déjà auteur de l’opéra L’instinct filial monté à Paris en 1792, qui rayonnera dans toute l’Europe entre 1795 et 1796 (Bruxelles, Cologne, Rotterdam, Berne, Moscou, Berlin, Hambourg). Pierre Gaveaux est par ailleurs le compositeur du Réveil du Peuple (paroles de Jean-Marie Souriguières de Saint-Marc 1763-1837), hymne patriotique protestant contre les excès révolutionnaires de la Terreur, chanté pour la première fois le 17 janvier 1795, qui rivalisa en popularité avec la Marseillaise au point qu’il fut interdit début 1796 par le Directoire…

Les dialogues de Bouilly accompagnés d’airs composés par Gaveaux deviennent l’opéra-comique Léonore ou l’amour conjugal (1798). L’œuvre connaît un tel succès qu’elle est très vite traduite et représentée un peu partout en Europe et reprise par d’autres compositeurs sur de prestigieuses scènes d’opéra. C’est ainsi qu’entrent en scène l’italien Ferdinando Paër, l’allemand Simon Mayr et l’universel Ludwig van Beethoven.

Ferdinando Paër (1771-1839), d’ascendance autrichienne, né à Parme mort à Paris, domina la scène lyrique entre la mort de Cimarosa (1749-1801) et l’avènement de Rossini (Barbier de Séville 1815). Il commença sa carrière de compositeur d’opéras en Autriche (Vienne) et Allemagne (Dresde) où il séduisit en 1805 l’empereur Napoléon qui l’emmena dans ses bagages de conquérant (Poznan, Varsovie) avant de le ramener à Paris où il cumula les postes prestigieux (Opéra Comique, Théâtre Italien, Conservatoire) et les honneurs (Académie des Beaux-Arts) sous les régimes successifs jusqu’à sa mort en 1839 sous le roi Louis-Philippe, dont il était le maître de chapelle. Il donna des leçons de composition au jeune Liszt (vers 1823). Son opéra Leonora ossia L’amor coniugale, avatar de l’opéra-comique de Bouilly et Gaveaux, fut créé le 3 octobre 1804 à Dresde. Paër composa 55 opéras.

Simon Mayr (1763-1845), né en Bavière et mort en Italie où il a fait presque toute sa carrière (Venise et Bergame), est un chaînon significatif entre la tradition de l’opéra italien (Paisiello) et le bel canto romantique de Rossini. Son œuvre totalise 600 numéros d’opus dont 70 opéras représentés dans toute l’Italie mais aussi à Paris, Vienne, Londres, Dresde et Berlin. Son opéra L’amor coniugale ou Il custode di buon core (Le gardien au bon cœur) inspiré de l’opéra-comique de Gaveaux et Bouilly fut créé à Padoue le 26 juillet 1805.

Et Beethoven ? Le voici. Nous sommes en 1804, il a 34 ans et vient de composer une 3e symphonie (Héroïque) initialement dédiée à Napoléon Bonaparte, dédicace rageusement biffée lorsqu’il apprend que le Premier Consul s’est fait couronner empereur, et transformée en « à la mémoire d’un grand homme ». Il reçoit commande d’un opéra par le baron Peter von Braun qui vient de racheter le Theater an der Wien, abandonne assez vite un projet proposé par Emmanuel Schikaneder (le machiavélique librettiste de la Flûte Enchantée de Mozart) dont le thème ne l’inspirait pas, se passionne en revanche pour l’histoire d’amour, d’oppression et de liberté de l’opéra-comique de Gaveaux et Bouilly. Hébergé par Schickaneder dans le Theater an der Wien, Beethoven travaille d’arrache-pied à son opéra Leonore en 1804 et 1805. La première représentation a lieu le 20 novembre 1805, un an après la création de l’opéra de Paër à Dresde, 4 mois après celle de l’opéra de Mayr à Parme.


Beethoven

Hélas, six jours auparavant, le 14 novembre, à l’issue de sa victorieuse campagne d’Allemagne et d’Autriche de 1805, Napoléon est entré avec sa Grande Armée dans Vienne désertée par l’aristocratie et de nombreux habitants. Leonore, opéra en trois actes de Ludwig van Beethoven sur un livret de Joseph Sonnleithner, entre en scène devant un parterre d’officiers français peu intéressés (l’opéra est en allemand) accompagnée par un mauvais orchestre. C’est un échec cuisant, Leonore quitte la scène après seulement trois représentations.

Un mois plus tard, de bons amis de Beethoven le persuadent de réviser son opéra trop long (2h40), de faire de nombreuses coupures, de fusionner les deux premiers actes, de composer une nouvelle ouverture. L’œuvre remaniée est donnée le 23 mars 1806, toujours sous le nom de Leonore et c’est un demi-succès. Cependant, à la deuxième représentation, Beethoven se querelle avec le directeur du théâtre et reprend la partition qui va dormir 8 ans dans les tiroirs du compositeur.

Après cette longue interruption l’opéra est de nouveau à l’affiche à Vienne le 23 mai 1814, avec un nouveau librettiste (Friedrich Treitschke) de nombreuses modifications, une nouvelle ouverture (la troisième) et sous le nom définitif de Fidelio. C’est Beethoven, de plus en plus sourd, qui dirige la première représentation de Fidelio, aidé par le compositeur, chef d’orchestre et violoniste viennois Michael Umlauf (1781-1842, il dirigera en 1824 la création de la 9e symphonie de Beethoven). Le succès est là, cette fois pour de bon.

Beethoven aura mis beaucoup de lui-même dans cet opéra à la genèse si contrariée. En 1827, au moment de mourir, il recommandera à ses amis la partition de Fidelio, « l’enfant de son esprit lui ayant causé plus de douleurs que les autres et aussi causé plus de soucis ».

Et le repentir ? On y vient… Depuis sa création en 1824, Fidelio était considéré comme l’unique opéra de Beethoven… jusqu’à ce que vers la fin du siècle dernier (1977) des musicologues s’intéressent à Leonore version 1805. Et là, surprise, cette première version de l’œuvre, plus longue que Fidelio, apparaît paradoxalement plus allégée, plus goûtue, mieux structurée, avec une dramaturgie plus cohérente. Dans Leonore 1805 (3 actes), Beethoven glisse d’acte en acte du singspiel au mélodrame puis au tragique. Sur le plan musical il montre tout ce qu’il doit à Mozart et Gluck. Il en résulte « un opéra très lisible, bien plus digeste, et ne suscitant jamais l’ennui que le public de la création a ressenti, sans doute en raison d’une équipe musicale inadaptée et du contexte géopolitique : Napoléon venait d’envahir Vienne, son influence sur Beethoven n’aura donc pas été limitée au bonheur de la 3e symphonie » (Guillaume Saintagne, 2017).

Il existe d’innombrables versions audio et video de Fidelio, mais très peu de Leonore, le second (ou premier ?) opéra de Beethoven. On peut citer celles de Herbert Blomstedt (1977), John Eliot Gardiner (1997) et plus récemment René Jacobs (2017 à la Philharmonie de Paris) disponibles en CD.

Conclusion possible : les regrets sont souvent à la source de bien des ennuis (Sagesse populaire !).