Lettre des Amis de Royaumont – N° 7 – Mars 2019

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Au sommaire : Assemblée Générale des Amis de Royaumont | Présentation publique du Festival 2019 | Entretien avec le régisseur du festival de Royaumont | Entretien avec deux stagiaires de l’Académie Voix Nouvelles


 Plus d’informations sur l’Association des amis de Royaumont


Assemblée Générale le samedi 13 avril 2019

Rendez-vous annuel à ne pas manquer, l’Assemblée Générale de l’Association des amis de Royaumont aura lieu samedi 13 avril 2019 à 11 heures à l’abbaye et sera clôturée par un verre de l’amitié. L’Assemblée Générale est ouverte à tous les membres à jour de leur cotisation (cotisation que vous pourrez également renouveler sur place, avant le début de la séance).

Ce sera l’occasion de découvrir les réalisations de l’Association et de dévoiler ses projets, mais aussi, si vous le souhaitez, de vous engager autrement auprès des Amis de Royaumont, un certain nombre de postes d’administrateurs de l’association étant ouverts au vote.
Les administrateurs participent aux conseils d’administration et aux commissions de bourses accordées aux jeunes artistes, ainsi qu’à la définition des grandes orientations et événements de l’association.

Retrouvez ordre du jour, pouvoir et acte de candidature de notre prochaine Assemblée Générale, ainsi que le procès-verbal de la précédente, en suivant les différents liens.


Présentation du Festival de Royaumont 2019

Les Amis de Royaumont sont les premiers invités évocation des concerts, spectacles, ateliers et activités en famille du Festival de Royaumont, qui aura lieu cette année le samedi 25 mai à 15h dans le réfectoire des moines.

Cette rencontre avec les équipes de la Fondation, ponctuée de performances d’artistes programmés, s’achèvera un verre à la main.

Elle sera l’occasion de réserver des places avant l’ouverture à tous de la billetterie en ligne.


Entretien avec Stéphane Assy, régisseur du Festival de Royaumont

Pendant tout le Festival de Royaumont, les salles et les extérieurs se transforment d’une semaine à l’autre et parfois même du jour au lendemain pour accueillir concerts et spectacles. Derrière cette organisation bien rodée, pas de baguette magique mais une équipe animée par un régisseur général : Stéphane Assy. Nous l’avons rencontré. Bienvenue dans les coulisses du Festival de Royaumont…


Stéphane Assy (photo : R. Beretz)

Quand et comment êtes-vous arrivé à Royaumont ?

Stéphane Assy : Au début des années 2000, par un ami qui y travaillait et qui avait besoin d’un coup de main. Je n’avais pas de compétences techniques, je faisais de la musique. J’y ai rencontré Lawrence Vigouroux, qui était régisseur général à l’époque et qui est aujourd’hui le directeur technique de la Fondation et nous nous sommes bien entendus. J’ai fait mes premières armes lors d’une saison musicale, comme tous les novices, en courant partout et en portant plein de choses : pendant deux mois, j’ai fait mon apprentissage. C’était une époque de bouleversements techniques avec l’introduction des grils, ces structures qui sont suspendues sous les voûtes. J’ai eu d’autres expériences dans des festivals et des salles variés et mon intérêt pour les aspects techniques est venu progressivement. C’est ainsi que j’ai appris la régie en autodidacte. Le lieu m’a apprivoisé et je suis revenu de plus en plus souvent à Royaumont. Je suis à ce poste depuis 10 ans.

Comment se prépare un Festival ? Comment se passe la communication entre la partie technique, la partie artistique et la programmation ?

Stéphane Assy : Dès le mois de janvier ont lieu les premières réunions qui me permettent de prendre connaissance du programme du Festival. Les rendez-vous ont lieu jusqu’au mois de mars. Le premier paramètre dont il faut tenir compte est la disponibilité des salles en fonction des séminaires et réceptions. Je consulte le planning général de la Fondation pour repérer les impossibilités et les disponibilités. Je peux intervenir sur la position de la scène ou suggérer un changement de salle. Les contraintes artistiques restent fortes mais elles sont parfois rattrapées par les contraintes des séminaires. Puis la charge de travail augmente et, à partir de juin, je suis à temps plein. En juin et juillet, j’essaie de placer tous les montages techniques. Pour moi, le Festival représente cinq mois de travail à temps plein.

Comment vous adaptez-vous aux différentes salles ?

Stéphane Assy : Quand je suis arrivé, il n’y avait que deux salles : le réfectoire des moines et la salle des charpentes. Depuis se sont ajoutés le grand comble et le réfectoire des convers. Cela représente une charge de travail supplémentaire mais ces nouvelles salles sont équipées pour accueillir des spectacles. Quand le réfectoire des convers n’existait pas, quelques concerts avaient lieu dans les anciennes cuisines mais ce n’était pas pratique, car elles jouxtent le réfectoire des moines, ne sont pas équipées du tout et sont situées entre deux portes. Il n’y a plus de concert à cet endroit.

Vous animez toute une équipe. Comment cela se passe-t-il ?

Stéphane Assy : Le service de régie n’existe que pendant le Festival. L’équipe monte jusqu’à 20 personnes : ce sont des jeunes du coin, des étudiants qui ne commencent qu’au mois d’octobre et aussi des gens qui sont entre deux emplois. Certains sont fidèles pendant 3 ou 4 ans. J’ai deux techniciens plateau, un technicien son, un ingénieur son, un régisseur lumière. Ce qui est important est qu’ils aient des profils polyvalents qui leur permettent de faire un peu tout.

Comment se passe la collaboration avec l’équipe artistique ?

Stéphane Assy : Tout dépend de l’interlocuteur que j’ai en face. Ce sont souvent les régisseurs des compagnies que nous accueillons. Ce peut être soit une équipe entière avec un régisseur général, un directeur technique et des techniciens lumière et son, soit juste un ou deux techniciens lumière ou son. Cela se passe bien quand mon interlocuteur et moi parlons le même langage. Parfois c’est plus difficile. Lors des créations, les artistes ne sont pas nécessairement accompagnés de techniciens et nous devons travailler directement avec eux, ce qui peut être plus ou moins simple selon les cas. Mais ce n’est pas forcément plus simple de travailler avec un technicien accompagnant un artiste, qui peut devenir un écran entre l’artiste et nous. Quand notre interlocuteur est l’artiste, nous devenons son régisseur et nous imaginons des choses ensemble. Royaumont n’est pas un endroit standard : il se différencie des théâtres avec des salles équipées et un personnel toujours présent.

Cela doit donner à la fois plus de possibilités et plus de contraintes…

Stéphane Assy : Tout à fait. Pour les équipes accueillies, cela ajoute souvent du confort, parce que, une fois que tout est installé, réglé et opérationnel, elles ont une forme d’autonomie. Elles sont présentes plusieurs jours, elles mangent et dorment sur place et elles ont tout le temps accès aux salles. Elles peuvent y rester toute la nuit si elles veulent, ce qui n’est pas le cas dans un théâtre où il y a des horaires, des services, du personnel qui ferme quand il part. Nous repartons aussi mais le lieu reste ouvert. Si l’équipe est encore en répétition, c’est elle qui éteint la lumière à la console.

Quand arrive le Festival fin août, tout est programmé. Comment cela se passe-t-il lorsqu’il y a une installation le samedi et une autre installation le dimanche ?

Stéphane Assy : Vous pensez à une scène au fond du réfectoire des moines le samedi et à une scène sous la chaire le dimanche ? En fait, ce n’est pas arrivé depuis de nombreuses années. J’essaie d’éviter le plus possible le travail de nuit pour limiter la fatigue des équipes en plein milieu du Festival. On ne fait plus trop de bouleversements d’installations, qui prennent entre 10 et 12 heures. L’astuce que j’ai trouvée consiste à concevoir des installations modulables. On peut assez facilement agrandir ou rétrécir une scène et on peut implanter les projecteurs pour qu’ils puissent s’adapter à la fois à une petite scène et à une scène plus grande. On laisse une partie dans le noir pour la petite scène et on actionne l’éclairage complet pour la grande scène.
Nous travaillons le soir et le matin mais le moins possible la nuit. En 2018, nous avons terminé une seule fois à une heure et demie du matin. L’amplitude de notre présence le week-end atteint 10 heures et s’étend parfois même de 8 heures à minuit, mais avec des équipes différentes. L’ouverture du réfectoire des convers, adapté aux petites formations, a transformé notre travail en diminuant les grands changements d’implantation de scène. C’est la capacité d’accueil qui fait la différence mais c’est toujours un pari : la capacité maximale du réfectoire des convers est de 279 places tandis que celle du réfectoire des moines atteint 500 places.

Comment gérez-vous les attentes d’artistes qui ont des exigences particulières comme Graindelavoix ?

Stéphane Assy : Ils ne veulent ni scène ni lumière et cela me convient. Cela a été possible en 2018 mais cela ne l’était pas les années précédentes car la salle était également utilisée par d’autres artistes. On décide lors de la programmation s’ils peuvent être seuls à utiliser une salle pendant une journée.


Graindelavoix lors du Festival de Royaumont 2018 (photo : H. Reussard)

Comment s’est passée l’installation de la grange de Vaulerent pour le concert Mahler de l’orchestre des Siècles le 7 octobre 2018 ?

Stéphane Assy : C’est Lawrence Vigouroux qui s’en est occupé parce que j’avais déjà fort à faire avec le Festival dans les murs. Il a travaillé sur la faisabilité et les contraintes du lieu, il a fait les devis et ce sont des prestataires extérieurs qui ont monté la scène et les lumières. Je suis arrivé plus tard en tant que régisseur général pour l’organisation et le calendrier de l’installation. Nous avons apporté le reste du matériel depuis Royaumont : chaises, pupitres… ce qui a représenté de nombreux allers-retours en camion. Et nous avons organisé un accueil dans un endroit que nous ne connaissions pas. Il fallait aussi réussir la gestion du parking.

Ce concert aurait-il pu avoir lieu au réfectoire des moines ?

Stéphane Assy : Oui mais avec moins de public. Un tel orchestre symphonique aurait pris de la place mais il se serait adapté : ces musiciens sont des professionnels et ils sont déjà venus. Mais il était important que Royaumont rayonne sur le territoire environnant, au-delà de ses murs. Et nous avons découvert un endroit étonnant. Techniquement, c’est un gros orchestre et la grange de Vaulerent est nettement plus grande que le réfectoire des moines : l’orchestre y était à l’aise.

Il y a eu plusieurs spectacles en plein air au début du Festival 2018. Quelles sont les solutions de repli pour de tels spectacles ?

Stéphane Assy : Le Festival a eu de la chance avec le temps : il a fait beau tous les week-ends où il y avait des spectacles à l’extérieur. Une partie de mon travail de la semaine est d’établir une feuille de route du week-end, heure par heure, voire minute par minute. Je détaille tout ce que chacun doit faire à chaque heure. Effectivement, il y a des options B, des options pluie, des options beau temps… Il y a des reports prévus dans des salles quand c’est possible, sinon il est prévu d’annuler quand ce n’est pas possible ailleurs. Le problème provient des temps de répétition dans les salles où il y a deux spectacles différents. Chacun veut avoir la salle pour soi et cela aurait été compliqué.

Quel type de bilan faites-vous après le Festival ?

Stéphane Assy : On ne le fait pas systématiquement. Cela peut se faire au mois de novembre avec les programmes artistiques mais il y a tellement de services qui interviennent que les bilans sont difficiles à analyser. Il y a toujours des petites choses à revoir mais en général je suis satisfait.

Il y a des contraintes propres à Royaumont comme les piliers. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire : en particulier, il n’y a pas de vraie salle de spectacles. Ce qui compense, c’est la magie du lieu…

Stéphane Assy : Exactement ! On recrée tout à chaque fois et cela prend du temps, de l’énergie. On ne laisse rien en place. Le spectacle chorégraphique l’Art de la fugue du premier septembre 2018 nous a pris beaucoup de temps : cela faisait longtemps que je n’avais pas fait quelque chose d’aussi important. Nous avons monté un plancher de danse autour d’une colonne, le gril prenait quasiment la moitié du réfectoire des moines et les gradins prenaient aussi beaucoup de place. Le week-end de danse représente un montage par jour. On a commencé dès le mardi. J’ai fait monter le grand comble pour le spectacle Mille de Harris Gkekas à la mi-août, soit 2 semaines à l’avance, ce qui nous a fait gagner quelques heures lors d’une semaine très chargée. Le spectacle qui s’est déroulé entre-temps dans la même salle n’en a pas été gêné. De même, le plancher de danse de la salle des charpentes a été monté à l’avance. Il faut anticiper et prévoir le pire : j’ai de nombreux plans qui tournent dans ma tête en permanence. Il faut faire à l’avance tout ce qui est possible. C’est le secret de la fonction.


L’art de la fugue (photo : L. Paillier)

Avez-vous eu des incidents pendant le Festival ?

Stéphane Assy : Uniquement des petites choses et probablement moins aujourd’hui qu’auparavant : des petits incidents, des pannes de matériel, des changements d’installation à la dernière minute, des changements de salle.

Que se passe-t-il à la fin du Festival en termes de rangement, de retours de matériel ?

Stéphane Assy : Cela se fait tout seul. C’est une période que j’aime bien. Les retours de matériel se font au fil de l’eau. Les locations de matériel concernent surtout la danse en début de Festival. Le reste du matériel nous appartient : lumière, scènes, gril, tout est à nous.

Il doit y avoir de la maintenance, du renouvellement…

Stéphane Assy : Il y a une maintenance obligatoire : des vérifications périodiques pour le matériel de levage, pour les moteurs qui montent la structure, pour la nacelle qu’on utilise pour accrocher les moteurs sont effectuées chaque année par des organismes agréés qui mettent leurs tampons. Cela se déroule entre juin et août avant les spectacles. Quant au renouvellement, cela dépend des années.

Comment sont organisés les événements qui ont lieu en dehors de la période du festival : Fenêtres sur cour[s], concerts occasionnels ?

Stéphane Assy : Je n’interviens pas le reste de l’année, c’est le service technique de la Fondation qui s’en charge. Il intervient tout le temps pour les séminaires, les réceptions. Depuis que le stockage a été modifié en 2016, lors du gros chantier de l’abbaye, il y a un étage de stockage pour les séminaires et un étage de stockage pour la régie. Le service technique fait un peu de régie dans l’année pour des petits concerts.

Quelles sont vos activités en dehors du Festival ?

Stéphane Assy : En dehors du Festival, mon activité la plus importante concerne des spectacles pour enfants que je fais comme musicien avec mon frère Pascal dans des écoles maternelles et élémentaires et dans les petits théâtres municipaux. Il nous est arrivé de jouer devant 500 enfants dans une ville. C’est impressionnant. Nos spectacles sont déjà programmés pour la saison. Au fur et à mesure des années, je fais de moins en moins de régie de théâtre et je me concentre sur ce que j’aime faire : d’une part le Festival, et d’autre part les spectacles pour enfants.

Merci de nous avoir éclairés sur un métier essentiel mais discret…

Propos recueillis par René Beretz


Entretien avec deux boursiers, stagiaires de l’Académie Voix Nouvelles

L’académie Voix Nouvelles a accueilli, pendant l’été 2018, 14 jeunes compositeurs et 8 jeunes interprètes venus du monde entier. Le public a pu apprécier leurs œuvres et leurs prestations lors de plusieurs Fenêtres sur cour[s] du 5 au 9 septembre, au début du Festival de Royaumont 2018. Les œuvres des compositeurs ont été interprétées par des musiciens de l’ensemble vocal Exaudi, de Londres, et de l’ensemble instrumental Meitar, de Tel Aviv. Deux compositeurs boursiers des Amis de Royaumont ont accepté de nous parler de leur parcours…


Les compositeurs de l’Académie Voix Nouvelle 2018 (photo : H. Reussard)

Jakob Bragg : Je suis australien et j’ai 28 ans. J’ai commencé le piano très jeune, ainsi que le saxophone et le violon, ce qui m’a permis de pratiquer aussi bien la musique classique que le jazz. Je n’ai abordé la musique du XXe siècle que vers 17 ans avec la musique de Stravinsky, Schoenberg, Boulez et Messiaen et il m’a fallu un moment pour entrer dedans. J’ai pris des cours avec un professeur privé. Et c’est lorsque j’ai débuté mon bachelor de musique à Brisbane que j’ai commencé à apprécier la musique du XXe et du XXIe siècle, de comprendre comment elle fonctionne, ce qu’elle essaie de construire. J’ai commencé à composer quelques pièces vers 17/18 ans. J’ai terminé récemment mon master à Melbourne, tout au sud de l’Australie.

Tonia Ko : Je suis née à Hong Kong, alors colonie britannique. Ma famille a déménagé à Hawaï quand j’avais 7 ans et j’ai grandi aux Etats-Unis. J’ai encore de la famille à Hong Kong et je me sens chez moi dans les deux endroits. J’ai commencé le piano à 5 ans et j’ai pris des cours de chant pendant l’école élémentaire et secondaire : le chant occupe une grande partie de ma vie. J’ai joué un peu d’alto y compris dans un orchestre. J’ai fait des choses plus originales comme la danse hula, typique d’Hawaï, mêlant danse et chant. J’ai commencé à composer toute seule quand j’avais 14 ans en essayant différents types de musiques : des chansons pop pour mes amis, que je chantais en m’accompagnant au piano, mais aussi des pièces pour orchestre. J’ai alors étudié avec un professeur particulier à l’université d’Hawaï. Après le lycée, je suis allé à l’Eastman School of Music (Rochester, Etat de New York) pour mon bachelor, où j’ai rencontré pour la première fois d’autres jeunes compositeurs. Ensuite, j’ai fait mon master à l’université d’Indiana puis mon doctorat à l’université Cornell (Ithaca, Etat de New-York). Ces deux dernières années, j’ai exercé en tant que compositrice indépendante en répondant à des commandes. L’année prochaine, j’aurai un nouveau poste en tant que post-doctorante à l’université de Chicago.

Quel type de musique composez-vous ?

Jakob Bragg : J’écris surtout de la musique acoustique. J’écris à la main, à l’ancienne, en notant tout scrupuleusement pour des instruments acoustiques. Je suis très intéressé par le multiculturalisme en musique car je considère que la société s’enrichit avec le mélange des cultures. Je pense que cela se reflète dans ma musique, liée à mon propre pays. Je m’intéresse aussi beaucoup à la microtonalité, qu’on n’entend pas beaucoup dans la musique classique. J’aime expérimenter, tester ce que les instruments peuvent faire.

Tonia Ko : De mon côté, je m’intéresse à la mécanique des instruments, à la façon dont les interprètes bougent quand ils jouent, ce qu’ils ont besoin de faire avec leur corps ; dans cette perspective, j’explore une technique étendue des instruments. Je travaille beaucoup la texture musicale que l’on peut ressentir à travers une sorte de rugosité du son. Le cœur de ma musique valorise beaucoup la mélodie et l’harmonie : elles ont toujours fait partie de moi. À cause de mon intérêt pour les arts visuels, ma musique se prolonge au fil des années par des installations sonores et électroniques.


Jakob Bragg expliquant sa partition à Noriko Baba (photo : F. Mauger)

Quels compositeurs vous ont influencés ?

Jakob Bragg : D’abord mes propres professeurs en Australie qui ont insisté sur le multiculturalisme. J’ai fait de la recherche sur la musique du Moyen-Orient : la musique ottomane et la musique arabe classique. L’autre influence musicale est le modernisme européen : Rebecca Saunders, Georg Friedrich Haas, Brian Ferneyhough, les compositeurs européens modernes à l’avant-garde de l’exploration de la musique.

Tonia Ko : J’aime la musique de Lutoslawsky et de Sibelius, dont l’influence s’entend dans ma musique. J’ai aussi été réellement obsédée par la musique d’Anton Webern, dont j’aime la texture et la délicatesse. Parmi les compositeurs actuels, j’apprécie la musique de Georg Friedrich Haas qui a un aspect un peu plus agressif, un caractère que j’essaie d’atteindre. Mon professeur le plus récent a été Steven Stucky, à l’université Cornell. Pour mes travaux plus expérimentaux, je suis très influencée par les musiciens américains comme John Cage, dont j’aime beaucoup la philosophie et la musique, ainsi que Morton Feldman.

Vous avez passé 3 semaines à l’Académie Voix Nouvelles. Expliquez-nous comment s’est organisé le travail.

Tonia Ko et Jakob Bragg : L’académie a été précédée par un long processus de plusieurs mois : lorsque nous avons été acceptés, on nous a proposé trois choix d’instrumentation pour la pièce à écrire et il a fallu en choisir un. [Les instruments et les tessitures de voix devaient correspondre aux membres des ensembles Exaudi et Meitar pour que la pièce soit jouée à la fin de l’Académie. L’effectif allait du solo au tutti en passant par des trios et sextuors – NDLR]. Puis nous avons eu des échéances de livraison des ébauches : 50 % du morceau en juillet, 75 % début août [sachant que l’académie a débuté le 19 août].

Jakob Bragg : Certains sont arrivés avec 75 % de la partition, d’autres avec moins, et certains avec leur œuvre quasiment terminée. Certains ont complété sur place, ce qui a été mon cas : je suis arrivé avec environ 60 %.

Tonia Ko : Pour ma part, j’ai tout réécrit sur place !


Tonia Ko travaillant à l’abbaye (photo : F. Mauger)

Tonia Ko et Jakob Bragg : La première semaine a été consacrée intensivement à l’écriture sous la direction de nos professeurs, les compositeurs Noriko Baba, Philippe Hurel et Mauro Lanza. Au bout d’une semaine et demie de résidence, nous avons fourni la partition complète et les professeurs l’ont commentée et nous ont suggéré des modifications. Nous avons beaucoup travaillé tard dans la nuit. Puis un soir les interprètes sont arrivés, ils ont récupéré les partitions sous la forme d’un fichier PDF. Les répétitions ont commencé dès le lendemain : chacun d’entre nous a eu 2 répétitions de 2 heures chacune. Les interprètes ont fait des suggestions et ont proposé de réécrire certaines parties. Leurs commentaires nous ont aidés à finaliser notre partition qui n’a été terminée qu’après la première répétition. Avec le recul, nous pouvons dire que notre apprentissage vient pour 50 % des professeurs et pour 50 % des répétitions avec les interprètes, qui nous incitent à nous exprimer de manière plus efficace.

Est-ce la première fois que vous travaillez de cette façon pour écrire une pièce ou avez-vous déjà vécu cette expérience ?

Tonia Ko : J’ai participé à d’autres ateliers où typiquement la pièce est terminée quand on arrive. C’est la première fois que j’ai autant composé pendant l’atelier. C’est une manière différente de travailler avec des retours permanents.

Jakob Bragg : C’est différent des autres types d’atelier. Et la durée de 3 semaines est vraiment spéciale.

Pour quels instruments avez-vous composé ?

Jakob Bragg : Flûte, hautbois, piano, percussion.

Tonia Ko : Chanteur baryton, hautbois, alto

Etait-ce une contrainte ou une opportunité ?

Jakob Bragg : Plutôt une opportunité. Il faut faire de toute contrainte une opportunité.

Plus généralement, que pensez-vous de Royaumont ?

Tonia Ko : C’est un bel endroit. Nous avons passé trois semaines en bonne compagnie. Nous nous sommes beaucoup promenés dans les jardins. Et la nourriture est très bonne.

Jakob Bragg : L’académie Voix Nouvelles n’était pas seule. Nous avons vu beaucoup de choses. Nous avons croisé les danseurs, nous les avons vus répéter. Nous avons assisté à la création des œuvres électroniques dans les jardins. Je suis d’accord avec Tonia : nous avons apprécié la compagnie des personnes présentes, les rencontres, et bien sûr celle des autres compositeurs que nous avons appris à connaître.

Tonia Ko et Jakob Bragg : Et c’est très international. En fait le seul compositeur français est Philippe Hurel. Tous les étudiants sont d’autres pays : Europe, Amérique, Chine, Japon, Corée, Australie, Hawaï

La bourse que vous avez obtenue des Amis de Royaumont a-t-elle été utile pour votre venue ?

Tonia Ko et Jakob Bragg : Elle a été cruciale

Tonia Ko :  Nous en parlions l’autre jour : sans la bourse, je n’aurais pas pu venir. Les billets d’avions sont chers. Les stagiaires viennent du monde entier et il est important que le programme soit international et varié.

Quels sont vos prochains projets ?

Jakob Bragg : Je compose pour un ensemble en Australie. Je suis indépendant et je réponds à des commandes. Et j’enseigne le piano à des débutants. Je viens de terminer mes études en Australie mais j’aimerais poursuivre des études en Europe.

Tonia Ko : Je déménage à Chicago et j’ai des projets pour plusieurs ensembles aux Etats-Unis. J’ai écrit un quatuor à cordes avec de l’électronique dont la création a lieu dans une semaine. Je vais enseigner dans une classe cette année à Chicago.

Jakob Bragg : J’ai beaucoup apprécié de connaître cet endroit exceptionnel, ce joyau caché au nord de Paris.

Merci de nous avoir consacré ce temps de discussion. Nous vous souhaitons les plus grands succès dans vos activités.

Propos recueillis et traduits par René Beretz