Lettre des Amis de Royaumont n°6 – Juillet 2018

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Au sommaire : L’assemblée générale du 14 avril | Atelier enluminure | Cycle « L’Homme et la Nature » | Entretien avec Clément Mao-Takacs | Les prochains rendez-vous


 Plus d’informations sur l’Association des amis de Royaumont


L’Assemblée Générale du 14 avril

L’Assemblée Générale de l’Association des Amis de Royaumont a réuni plus d’une cinquantaine d’adhérents le samedi 14 avril 2018, afin d’approuver le bilan moral et financier de l’association et de statuer sur les axes de soutien 2018 de l’Association.

En 2017, l’Association a rassemblé 720 adhérents, grâce auxquels 31 400€ ont été collectés.
Ces dons ont permis l’attribution de 56 bourses aux jeunes artistes en formation professionnelle à Royaumont (23 400€), la réalisation de 5 ateliers et de 3 visites contées, dont 190 enfants ont pu profiter (4 000€), et 27 visites thématiques autour de l’histoire, du patrimoine et des jardins pour donner vie au monument (4 000€). Plus de 1000 visiteurs ont pu bénéficier de ces visites.

En 2018, l’association des Amis poursuit son engagement… :
– auprès des jeunes artistes, à travers l’attribution de bourses à la formation professionnelle
– pour le patrimoine, à travers le financement des visites thématiques
– auprès du jeune public, à travers le soutien aux visites thématiques
… et développe un axe « Sciences de l’Homme », à travers son soutien au cycle « l’Homme et la nature » et aux rencontres autour de Gilles Clément « Génie naturel ! Génie humain ? »

Vous pouvez télécharger le compte-rendu de l’Assemblée générale ici.


L’atelier enluminure du 5 mai

Le 5 mai dernier, une douzaine d’Amis de Royaumont a eu le plaisir de suivre un atelier d’enluminure animé par Cécile Auguin.
Cécile est amie de Royaumont de longue date et bénévole au sein de notre Association.
La générosité de son mécénat de compétence, combinée à la contribution sous forme de dons libres des Amis présents a rapporté 330 euros, mais elle a surtout été combinée au plaisir : plaisir de créer, plaisir d’apprendre, plaisir de transmettre, plaisir de se retrouver tous dans cette cellule Saint-Louis si particulière, plaisir de voir à l’extérieur le jardin du cloître. En d’autres termes un plaisir tout cistercien de goûter au temps suspendu…
Rendez-vous en 2019 pour un atelier de calligraphie avec Cécile !

Pierre Clause, Président


Le cycle « L’Homme et la Nature » des 29 et 30 juin

L’Association des Amis de Royaumont est très fière d’avoir soutenu les rencontres qui ont eu lieu les 29 et 30 juin dernier, sur le thème « Génie naturel ! Génie humain ? ».

L’enthousiasme et le plaisir d’être à Royaumont étaient perceptibles tout au long des deux journées qui ont permis d’échanger autour du paysagiste et écrivain Gilles Clément. Dans une salle des charpentes comble, les débats ont porté sur l’habitat d’hier et celui de demain, les limites au développement de l’activité humaine, le contour des paysages…

La contribution plastique de Marjorie Méa, les photos prises par Yann Monel dans le jardin de Gilles Clément, le concert des saxophonistes perchés dans les arbres de La Grande Volière et les moments de partage autour de la table de Royaumont ont permis de prolonger ces discussions et de rappeler combien les arts peuvent enrichir ce type d’échanges.

Un peu plus de 400 personnes ont participé physiquement à l’événement. Les Amis étaient également présents, en tant que mécènes mais aussi sur le stand installé à la sortie des charpentes, ajoutant à cet événement une touche de convivialité toujours très appréciée.


Entretien avec Clément Mao-Takacs : l’énergie musicienne

Secession Orchestra a débuté sa résidence de trois ans (2017-2019) à Royaumont le 24 septembre 2017 par un concert original qui nous a donné l’envie de rencontrer son fondateur et chef Clément Mao-Takacs. Il se présente…

Clément Mao-Takacs : Je suis principalement chef d’orchestre. Je mène aussi une carrière de pianiste et de compositeur. J’ai commencé assez tôt la musique dans une famille non musicienne : percussions, solfège, puis clarinette, violoncelle, cor et chant choral. Ensuite j’ai commencé le piano qui est devenu mon instrument. J’ai fait mes études au CNSM de Paris puis je suis parti en Italie à l’académie Chigiana de Sienne. J’ai travaillé auprès du maestro Komives en France et en Hongrie (opéra de Budapest) puis j’ai passé quasiment 5 ans de ma vie à l’opéra de Rome comme premier assistant et associé à la direction musicale du maestro Gianluigi Gelmetti. L’enseignement de ces deux maîtres a été important dans ma formation et j’ai suivi la voie des chefs du passé en dirigeant à parts égales les répertoires lyrique et symphonique ; j’ai donc développé un large répertoire en dirigeant aussi bien des œuvres rares que les grands classiques de l’opéra et du concert.

Pourquoi et dans quel esprit avez-vous créé Secession Orchestra ?

Clément Mao-Takacs : Quand je suis revenu en France, j’ai eu envie de créer un ensemble qui ait à la fois la qualité des ensembles de chambre et celle des orchestres symphoniques. Avec Secession Orchestra, que j’ai fondé en 2011, je dispose d’un temps de travail très poussé : je peux fouiller les œuvres comme on le fait en musique de chambre, ce qui est rarement possible avec un orchestre symphonique. Par exemple, quand je suis chef invité, il y a peu de répétitions, ce qui induit une autre façon de travailler. J’ai choisi les musiciens de Secession Orchestra pour leurs qualités individuelles et collectives, ce qui donne une joyeuse énergie, l’envie de jouer ensemble et de creuser les interprétations, nous permet de faire sonner un ensemble de 30 à 40 musiciens comme un grand orchestre symphonique et donc de de jouer des œuvres conçues pour de grands effectifs.

Avec Stéphane Degout et Elsa Dreisig

Pourquoi avoir choisi ce nom et quel est le répertoire de votre orchestre ?

Clément Mao-Takacs : C’est un hommage à la Sécession viennoise, mouvement artistique novateur né à Vienne à la charnière du 19e et du 20e siècle, véritable dialogue entre les arts lancé par des plasticiens tels que le peintre Klimt et les architectes Olbrich et Hoffmann ; quasiment au même moment, à Vienne, Gustav Mahler, Hugo Wolf puis Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton Webern et bien d’autres initient une véritable révolution de l’art musical, aussi bien dans une interprétation des œuvres plus rigoureuse et exigeante que dans la composition.
Dans les valeurs que portait la Sécession, il y a plusieurs éléments dans lesquelles je me reconnais un siècle après : d’une part la volonté de penser un art dans une perspective européenne et internationale, fondé sur la circulation et l’échange des œuvres et de la pensée, d’autre part la volonté que l’art mette en valeur la production des femmes et les considère à égalité avec celle des hommes. C’est un combat essentiel, c’est pourquoi je fais attention à la parité dans la composition de l’orchestre, comme à la place des compositrices dans les programmes que nous produisons. Il y a enfin la volonté de faire éclater une certaine étroitesse de pensée bourgeoise et conservatrice qui déniait à l’art un autre rôle que celui de divertissement, ce que la Sécession illustre avec un geste fort, la construction de son célèbre pavillon viennois abritant concerts et expositions.
Dans l’idée de Sécession, il y a avant tout une interrogation permanente sur la façon dont l’art est connecté à la société et peut contribuer à créer une société plus contemporaine et plus apaisée. Les artistes de la Sécession souhaitaient éviter qu’il y ait une séparation entre un art du passé et un art du présent ; au contraire, ils encourageaient corrélation, transmission et relecture. Klimt ou Schönberg peuvent paraître extrêmement modernes, pourtant ils ne font que traduire dans un langage moderne ce qui les inspire dans le passé – par exemple les mosaïques de Ravenne et les ors byzantins pour Klimt, le contrepoint et les formes musicales baroques pour Schönberg. De la devise inscrite au fronton du pavillon de la Sécession – qu’on peut traduire librement par « à chaque temps son art, à chaque art sa liberté » – je déduis que la musique du passé doit être sans cesse réactivée, relue, réinterprétée.
Outre cette période musicale qui forme notre cœur de répertoire, nous commandons, créons et interprétons beaucoup de musique contemporaine (comme celle de Kaija Saariaho qui nous accompagne depuis nos débuts) et interprétons dans des projets spécifiques et transversaux les œuvres de Mozart, Rossini, Schumann ou Brahms.

Avec tout ce répertoire, quel est votre avis sur les interprétations authentiques ?

Clément Mao-Takacs : Je ne crois pas à l’authenticité. On peut entendre par exemple la musique de Couperin ou de Bach par 5 ensembles ou interprètes « historiquement informés » et ce sera pourtant à chaque fois différent et passionnant. J’ajoute que les concepts d’ « authenticité » et de « pureté » me semblent toujours assez dangereux par l’usage qu’en font les extrémismes qui s’en sont souvent emparés et continuent de s’en nourrir. On sait que toute musique repose sur un ensemble d’influences et de métissages et qu’il n’existe pas de musique « pure ». J’aime autant diriger les musiques de Mahler et Wagner avec de très grandes phalanges que d’en diriger des versions avec effectif plus réduit qui font ressortir d’autres aspects de ces musiques comme la modernité de certains passages ou le caractère plus chambriste d’autres parties. C’est également une façon de de l’amener dans des endroits où on ne pourrait pas l’interpréter en version originale : dans des petites chapelles, des prisons, des hôpitaux, des écoles, des usines où nous jouons très souvent. C’est une condition sine qua non du statut de musicien que d’amener aussi la musique à des gens malades, à des enfants, à des étudiants, à des prisonniers – à tous ces gens qui sont coupés d’une façon ou d’une autre de la société et souvent privés du contact de l’art.

En quoi cela a-t-il un impact sur votre manière de concevoir votre travail ?

Clément Mao-Takacs : Tout un pan de mon travail en tant que directeur musical et artistique et homme de culture consiste à faire naître des projets avec d’autres artistes, des transversalités entre les arts, des rencontres. L’éducation et la culture sont deux faces d’une même médaille ; mais c’est un message souvent difficile à faire passer aux responsables politiques et même au sein d’institutions. Je crois à l’échange comme fondement de la relation entre les êtres humains. Concevoir un programme et interpréter une œuvre est pour moi un acte engagé : creuser une interprétation, c’est aussi trouver dans chaque œuvre des liens, des éléments, qui jettent une lumière crue sur le temps présent et la société dans laquelle nous vivons. En outre, l’artiste représente une forme de liberté d’expression et de richesse de pensée, car sa mission est aussi de nous avertir, tel un veilleur, et de nous amener à réfléchir sur les moments de crise que traverse notre société. C’est cela que je cherche à faire passer à travers les programmes que je propose – comme ceux que nous donnons dans le cadre du festival de Royaumont.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Clément Mao-Takacs : Le concert du festival 2017 était intitulé « Jardins d’amour » : j’ai construit le programme autour de cette idée de floraison, de cette relation entre nature et culture, en référence à cet écrin de verdure qui entoure Royaumont, vaisseau de pierre et de lumière dans lequel la transparence et la qualité de l’air permettent à la musique et aux sons de venir aux oreilles comme s’ils naissaient à l’instant même. On y a le sentiment plus qu’ailleurs que l’air se transforme en musique, et qu’une écoute neuve y est possible. C’est un lieu ou plane l’ombre des moines, qui y ont travaillé, produit, transmis, et j’aime que ce lieu soit à la fois un lieu où l’on peut travailler en toute quiétude, dans une forme d’introspection et d’intériorité, et en même temps qu’il y ait ce foisonnement formidable de différentes pratiques artistiques, qui rend à cette abbaye sa vocation première. Dans cet esprit, j’ai choisi de commencer par le Blumine (« fleuri/floral/florissant ») de Mahler car il renvoie au « Ver sacrum » (Printemps sacré), qui était le nom de la revue des sécessionnistes, c’est-à-dire à cet élan vital que l’amour, l’art, le cycle des saisons peuvent provoquer en nous. Ce thème de la nature, nous le retrouvions dans L’Enchantement du Vendredi Saint de Wagner, moment où Parsifal, apercevant la nature qui est en train de fleurir à nouveau, comprend soudain que son errance n’a pas été vaine, qu’il a fallu qu’il erre pour avoir le droit de revenir dans le château du Roi-Pêcheur ; il me plaisait d’imaginer que Royaumont pouvait devenir le château des chevaliers du Graal. Toutes ces thématiques étaient réunies dans la Symphonie Lyrique de Zemlinsky chantée par Elsa Dreisig et Stéphane Degout, qui clôturait le programme. Œuvre où les influences de Mahler et Wagner sont synthétisées admirablement par ce compositeur trop méconnu… Elle est composée sur des poèmes extraits du recueil « Le Jardinier d’Amour » du poète indien Rabindranah Tagore : à nouveau, s’entrelacent les thèmes du jardin, de la floraison, des cycles amoureux et naturels, et d’autres liens relient encore cette œuvre aux autres, comme la fascination des trois compositeurs si occidentaux pour la philosophie et la spiritualité orientale et extrême-orientale.
Avec les derniers mots que chante le baryton avant le grand postlude orchestral, Zemlinsky et Tagore nous livrent l’image d’une lampe tenue très haut qui déverse sa lumière sur un chemin : c’est une sorte d’art poétique, mais aussi une incitation à saisir la figure de l’artiste comme un « phare » dirait Baudelaire. Zemlinsky pensait très fortement en écrivant cette œuvre à la figure exemplaire de Mahler. Au seuil de notre résidence à Royaumont, je crois qu’il était juste et important de poser cette interrogation sur ce qu’est un artiste, sur sa mission aujourd’hui, dans le monde chaotique, bouleversé et pétri de contradictions qui est le nôtre.

Comment concevez-vous votre résidence à Royaumont ?

Clément Mao-Takacs : Une résidence est une forme de retraite un peu spirituelle. A Royaumont, nous avons le temps de la réflexion, des retrouvailles avec les musiciens autour de projets artistiques. Cela nous permettra de prendre un élan pour aller plus loin, pour nous réinventer, y compris dans la démarche de l’orchestre. Je bénéficie d’une grande confiance artistique de la part du directeur, Francis Maréchal, lui qui a découvert tellement de talents, mais aussi de François Naulot, le responsable du programme voix et de l’unité scénique, avec qui j’ai une complicité de génération et les mêmes envies. Je travaille main dans la main avec Catherine Huet, l’administratrice du programme voix et de l’unité scénique, qui est d’une gentillesse et d’une technicité sans faille et qui comprend les musiciens et les encadre au mieux. Enfin Marina Zinzius est aussi une partenaire formidable avec qui nous allons travailler sur différents projets pédagogiques ambitieux. C’est un quatuor de choc avec lequel je m’entends bien. C’est presque de la musique de chambre !

Quels sont vos projets pendant la résidence ?

Clément Mao-Takacs : Il y a un jeu de ping-pong entre les projets que nous avons à Secession Orchestra et les projets qui peuvent être impulsés par la fondation Royaumont. C’est un partenariat qui se renforce avec le rapprochement de la Médiathèque Musicale Mahler et de la Fondation Royaumont, heureuse conjonction qui favorise les projets autour de la période de la Sécession et de Mahler. Je vais d’ailleurs mener des travaux de recherche à la Médiathèque Musicale Mahler. Nous avons également des auditions de chanteurs à mener avec toute l’équipe de Royaumont pour nos projets à venir. Enfin, nous menons un projet pédagogique autour des chansons de France et d’Europe avec des enfants de Gonesse, qui s’est conclu par deux concerts à Gonesse (plus d’informations sur ce projet).
Lors du Festival de Royaumont 2018, nous donnerons un concert le 23 septembre en grande formation pour célébrer l’année Debussy, avec un magnifique programme autour de la poésie de Baudelaire. On y entendra La Mer mais aussi des mélodies orchestrées de Jean Cras, d’Henri Duparc, de Debussy chantées par la mezzo-soprano Marion Lebègue. Là encore, c’est un programme qui va mettre en valeur les liens entre la musique et la poésie, et cette atmosphère si particulière du Symbolisme ; mais c’est aussi un concert qui nous parlera d’aujourd’hui, car les spleens de Baudelaire sont l’expression d’un mal-être, d’un mal de vivre que nous avons tous connu un jour. Et si j’adore la beauté structurelle de La Mer, son japonisme latent, et cette façon que le génie de Debussy a d’éclater à chaque instant, je ne peux pas diriger cette œuvre sans songer que cette mer, depuis Ulysse, est celle que l’homme affronte pour se rendre d’un point à un autre au péril de sa vie, qu’elle est le passage qu’empruntent et où disparaissent chaque jour des migrantes et des migrants, qu’elle est aussi cette poubelle géante que nous polluons sans vergogne avec nos déchets plastiques et nos carcasses de bateaux…
Nous avons également le projet de monter l’opéra de Benjamin Britten, Le viol de Lucrèce,  en 2018-2019. Avec une distribution de jeunes voix et grâce à son effectif orchestral léger d’une quinzaine de musiciens, il devrait être largement diffusé. J’aimerais que la mise en scène en soit effectuée par une femme car cette histoire de viol a, depuis sa création, quasiment toujours été mise en scène par des hommes. Or cet opéra nous parle de harcèlement, de violence, d’honneur perdu, de sacrifice d’une victime innocente : on aperçoit les résonances actuelles de cette œuvre.

Avec les enfants à Gonesse (Photo : Choukri Dje)

Vous semblez beaucoup aimer les voix…

Clément Mao-Takacs : Tout à fait. Avec Secession Orchestra, nous offrons souvent aux jeunes chanteurs que nous accueillons leurs premières expériences avec orchestre, ce qui est très différent d’un récital avec piano, en particulier en termes de projection de la voix, et différent encore d’une scène lyrique. Et nous travaillons pour qu’ils aient d’autres occasions de se produire avec orchestre, non seulement à Royaumont mais aussi dans les deux festivals que j’ai créés à Paris (Intervalles) et à Carnac (Terraqué). Ce sera aussi une possible manière de prolonger par un partenariat futur la résidence de trois ans à Royaumont.

Quelle est votre relation avec le public ?

Clément Mao-Takacs : Le public représente 50 % de l’expérience du concert. J’ai besoin que le public soit remué, ému, que la musique le fasse réfléchir. Je sens lorsqu’un public est désintéressé ou déconcentré et cela a souvent à voir avec notre propre capacité de concentration. Mais je sens aussi lorsqu’il se passe quelque chose, quand une sorte d’alchimie naît entre l’orchestre, le public et moi-même. Ainsi à Royaumont, lors de notre concert de septembre 2017, j’ai senti passer ce souffle particulier, cette apesanteur à différentes reprises durant le concert : il y a une sorte de communion, de concentration totale des musiciens et du public. Cela vient de l’œuvre interprétée, comme si elle se révélait à tous : il peut y avoir quelque chose de magique dans un concert.
Je suis extrêmement ému de penser que, pour chacun de mes concerts, les auditeurs me donnent 60 ou 80 minutes de leur vie. Avec les musiciens, nous avons la responsabilité de transmettre ce qui se trouve dans la musique, qui peut contenir de la douleur, de la détresse, un enseignement presque métaphysique et souvent aussi de la joie ; et tout cela crée des ondes de choc dans le public. Quand les gens à la fin d’un concert me parlent soit de la musique, soit me disent « vous m’avez donné de la joie ; c’est miraculeux ; j’ai redécouvert cette œuvre », il y a de la gratitude dans les deux sens. Ce qui compte, pour moi, c’est que l’œuvre ait résonné en eux, profondément, durablement, qu’ils emportent le souvenir de ce moment avec eux, que ce qu’ils ont vécu les fasse réfléchir.

Qu’est-ce qu’un bon concert pour vous ?

Clément Mao-Takacs : Dans un bon concert, on perd la notion du temps. Comme spectateur, vous avez flotté ailleurs, hors du monde, vous vous êtes laissé porter. Vous n’étiez pas sur votre téléphone portable, vous étiez déconnecté des réseaux sociaux. Un interprète est concentré à la fois sur ce qu’il veut transmettre et attentif à la façon dont la musique se déploie dans un lieu en présence du public.
Et puis il y a des moments magiques qui viennent des lieux. C’est une chance d’avoir pu faire L’Enchantement du Vendredi Saint à Royaumont, tandis que le soleil se couchait – le premier son du hautbois était accompagné par les derniers rayons du soleil passant à travers les vitraux – puis d’avoir joué la Symphonie Lyrique, qui est une musique plus nocturne, avec le soir qui tombait, cette fraîcheur et les parfums crépusculaires de la nature entourant Royaumont. Et cette dernière image que nous donne l’œuvre de Zemlinsky d’un chemin éclairé se prolongeait par l’allée illuminée que les gens empruntaient pour partir. Dans ces moments-là, il y a une corrélation parfaite, et c’est quelque chose de particulier qui restera dans ma mémoire : consciemment ou inconsciemment, quand je vais rediriger cette œuvre, ce sera dans mon bras, dans ma chair, dans mon esprit.
Chaque lieu est différent, chaque moment particulier et enrichissant. Un concert n’est pas un point final, mais une étape dans un processus, un instant de vérité dans une métamorphose progressive et continue. C’est ce questionnement sans fin, cette remise de l’ouvrage sur le métier, cette quête perpétuelle qui fonde et motive mon cheminement artistique.

Nous vous souhaitons une bonne continuation de votre résidence à Royaumont et le succès de tous vos projets…

René Beretz


Les prochains rendez-vous des Amis

En plus des deux journées de Festival entre Amis, les 9 septembre et 6 octobre, et du dîner annuel, le 14 décembre, les Amis auront l’occasion de prendre part à des ateliers organisés exclusivement pour eux :

– un atelier participatif « Entendre la musique d’aujourd’hui », le 4 septembre, en compagnie de Jean-Philippe Wurtz, directeur artistique du programmes Voix Nouvelles, pour acquérir quelques clés, comprendre les répertoires, les influences, les techniques et oser partir à la rencontre de cette musique apparemment très complexe mais qui fait partie de notre temps.

– un atelier découverte du clavecin Vater, le 14 septembre, avec Sylvie Brély, directrice du programme Claviers, et le claveciniste Jean-Luc Ho, en avant-première de son concert du 29 septembre

– un atelier découverte de l’Académie Orsay-Royaumont, le 31 octobre, avec les formateurs, les stagiaires et les historiens d’art qui participeront à ce nouveau projet de Royaumont, mené en partenariat avec le Musée d’Orsay, Cette formation professionnelle permettra aux stagiaires de se former pendant un an à l’art de la mélodie et du lied avec les meilleurs interprètes et spécialistes de ce répertoire.

Retrouvez tous les détails sur ces activités sur l’agenda du deuxième semestre 2018 des Amis de Royaumont.