L’arbre dans le quotidien de l’Homme médiéval 

La nouvelle exposition végétale propose d’explorer le quotidien des femmes et des hommes médiévaux et leurs liens avec les arbres.

L’arbre, banal, quotidien de par ses usages, est une composante principale dans la vie domestique. Sa participation dans la vie médiévale, qu’elle soit utilitaire, médicinale, symbolique, revêt un caractère intime, comme une familiarité évidente. Fête de village autour de l’arbre de mai, culture de fruitiers dans les domaines royaux, les monastères et les vergers, chasse dans les garennes et les bosquets, bois de chauffe ou de construction : l’arbre est au cœur de la vie et de sa bonne gestion dépendait l’épanouissement de la société, ou de ce que Michel Pastoureau appelle une « civilisation du bois ».

Dans un autre champ, les investigations et observations botaniques des érudits du Moyen Âge traduisent une intimité bien spécifique avec le règne végétal. Elle se tisse progressivement avec l’observation du fonctionnement des plantes, la notation d’analogies… Les encyclopédies révèlent cette bonne connaissance des espèces, de la forêt au verger, et de leur exploitation fructueuse. Le bois est considéré comme un matériau noble d’une plus grande valeur que la pierre ou le métal car, à l’inverse de ces derniers, il est considéré comme une matière vivante.

Les ouvrages scolastiques du Moyen Âge, dans la lignée des études naturalistes grecques antiques, décrivent les variétés de formes végétales, dans un discours souvent plus gourmet que scientifique, également moral et symbolique.

Enfin, il n’est pas anodin que l’arbre généalogique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, se développe au Moyen Âge. À lui seul, il symbolise l’imaginaire d’une époque qui lie les humains et les arbres :  le sang y est sève, le mariage une greffe, le lignage une branche, les enfants des fruits…

L’intimité pour parler du lien entre les arbres et les Hommes

La notion d’intimité revêt différentes significations. Elle peut se référer aux « parties généralement cachées de l’anatomie d’un individu ». Dans cette définition, l’intimité se rapporte davantage à un attribut, ou au caractère intérieur et profond d’un sujet. On pourra donc s’intéresser à l’étendue et l’originalité des connaissances sur les arbres (morphologie et fonctionnement) transcrite dans les encyclopédies et les herbiers.

Elle peutencore désigner « l’ensemble des relations sentimentales, mêlées ou non de sensualité, marquées par une communion profonde, des échanges sans réserve et parfois la cohabitation ». L’intimité est, dans ce deuxième sens, entendue comme un rapport entre deux sujets, un lien étroit, confiant, familier ou charnel.

C’est par cette double compréhension du mot intimité que nous allons interroger le rapport des Hommes aux arbres dans le spectre médiéval et contemporain : quel lien entre arbres et Hommes dans le paysage médiéval quotidien ?

Comment définir l’arbre médiéval ? Notre classification moderne serait anachronique. « L’arbre est avant tout le végétal qui s’oppose à l’herbe : il s’agit là des deux grandes catégories du savoir botanique médiéval. Le substantif « plante » est bien souvent utilisé pour désigner les végétaux herbacés, qui s’opposent aux arbres » selon Alice Laforêt dans sa thèse : L’arbre et le livre au Moyen Âge, Encyclopédies et herbiers : les arbres dans le savoir botanique occidental (XIIIe – XVe siècle), 2016.

Cette collection végétale, qui présente un ensemble de connaissances sur les arbres au Moyen Âge , est en phase avec de nombreuses publications littéraires, artistiques, historiques et scientifiques actuelles. Elle permet,  en comparaison , d’interroger l’intimité contemporaine que nous partageons avec les arbres. Quelle est leur place dans nos quotidiens et notre économie ? Notre dépendance aux arbres et plus largement au règne végétal est encore plus d’actualité de nos jours[4] , alors qu’il est menacé.
Aujourd’hui, la quête de la compréhension du végétal dans son intimité continue, particulièrement dans le contexte de réchauffement climatique.

Le parcours : de l’arbre isolé jusqu’à la forêt profonde

Le voyage que nous proposons au visiteur, centré sur la période du Moyen Âge, repose avant tout sur l’explicitation d’un regard, issu du croisement de données variées, historiques, culturelles, botaniques et scientifiques.
Le recoupement des sources permet de considérer que la connaissance restituée sur chaque plante est pertinente et recèle une part de vérité, malgré des imprécisions qui subsisteront toujours car il ne s’agit pas d’une science exacte.

Cette sixième collection propose une déambulation en 6 étapes qui permettent de s’immerger au milieu des arbres, comme aurait[1]  pu le faire un homme ou une femme du Moyen Âge.

Le parcours propose de progresser depuis l’arbre isolé dans la cité[2]  jusqu’à la forêt profonde[3] , en pa[4] ssant par le verger, la haie et les lisières, le sous-bois et la forêt utile. De la localisation de chaque arbre découlait notamment la nature du lien profond que les Hommes entretenaient avec lui.

Le parcours fait état des usages quotidiens et de[5]  l’imaginaire collectif associé à chaque essence. La plantation devient, au fil du parcours, de plus en plus dense, à l’image du chevalier qui s’enfonce progressivement dans la forêt, à la recherche d’aventures. La scénographie renseigne également sur les catégories des espaces boisés : « bois revenants », « bois de garde », « garennes ».

Pour chaque espèce, des informations succinctes sont données sur l’état des utilisations quotidiennes, de la symbolique associée et des récits tels qu’ils nous ont été transmis.

Avertissement : des regroupements ou catégorisations pourront paraître artificiels car certaines plantes illustrent plusieurs catégories. Et la répartition en différentes thématiques a été choisie pour servir la scénographie et non une vérité historique. De plus, la scénographie est issue de certains arbitrages, visant à la fois à une bonne compréhension du propos général et à une association de plantes par carré  permettant des effets renouvelés au fil des saisons.

Exposition végétale [2022-2025]

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Paysage n°1 – L’arbre isolé, solitaire, point de repère | Paysage n°2 – Le verger | Paysage n°3 – Les haies et les lisières | Paysage n° 4 – Le sous-bois, le bosquet, le taillis, « bois revenant » ou « bois de vente » | Paysage n°5 – La forêt utile, forêt fructuosa, « bois de garde » ou « réserve » | Paysage 6 – La sylve, forêt profonde

Paysage n°1 – L’arbre isolé, solitaire, point de repère | revenir à la carte

Il est au centre de villages, de places urbaines ou à la croisée des chemins. L’arbre isolé est fortement symbolique. Il sert de point de repère, de point de rassemblement et est souvent d’essence noble. C’est un arbre sous lequel se déroulent les moments forts de la vie en société : événements politiques, fêtes, justice…

1.   Quercus robur – Chêne pédonculé

Le chêne est sacré pour beaucoup de peuples : des Hébreux (chêne de Mambré) aux Romains en passant par les Celtes. Il est chargé de symboles : arbre viril ou arbre fondateur… Les plus fréquents sont :

Le symbole de fertilité car les glands passent pour préserver les hommes de la vieillesse et de ses conséquences et pour aider les femmes à concevoir. Un même mot désigne à la fois le fruit du chêne et l’extrémité du sexe de l’Homme, en grec (balanos), comme en latin (glans), puis en français.

Le symbole de pérennité notamment du sang royal : longévité et fermeté dans la foi.

2.     Tilia cordata- Tilleul à petites feuilles

Le tilleul est reconnu pour son caractère protecteur, seigneurial, voire sacré. On en plante près des églises. C’est un arbre de joie, sous le feuillage duquel peuvent prendre place fêtes et réjouissances. Son pouvoir thérapeutique incite à le planter près des hôpitaux et maladreries.

3.     Celtis australis – Micocoulier

Il entre dans la fabrication de fourches et manches à outils. Le feuillage pouvait servir autrefois de fourrage et la racine fournissait une teinture jaune.

Associé à la religion, il serait planté dans le sud de la France principalement à côté de chapelles, d’églises ou entourerait les monastères et prieurés. En occitan on le nomme « fanabreguier » : arbre du temple.

4.     Ulmus RESISTA® ‘Sapporo Gold’ – Orme

Symbole fort dans le quotidien médiéval, il est fréquemment placé au centre de place, notamment pour évoquer la justice. L’orme est mentionné comme protection, abri du roi de France : « Le Roi de France était le droit orme aux larrons de la chrétienté », dans le Journal d’un bourgeois de Paris, œuvre anonyme(XVe).

Depuis le 14ème siècle, la population du quartier de Saint Gervais à Paris avait coutume de se rassembler sous le feuillage de l’orme près de l’église, les jours de fête et les seigneurs y rendaient justice après la messe.

Paysage n°2 – Le verger | revenir à la carte

Le verger est un lieu clos où toute menace est exclue, où la nature est maîtrisée et où les jeux courtois entre dames et chevaliers prennent place. L’arbre est nourricier et symbole de vertus, et les essences sont parfois exotiques. Le verger est composé d’arbres tiges plantés de manière régulière, d’essences diverses d’arbres fruitiers (pommiers, poiriers, figuiers…).

Dans le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris (1200-1238) décrit un verger comportant toutes sortes d’arbres pouvant porter des fruits, mais aussi des arbres de la forêt. « Ces arbres », précise Guillaume de Lorris, « sont éloignés l’un de l’autre de la distance qui convient : il y a de l’espace entre eux, mais comme leurs branches sont longues, ils dispensent un ombrage tel que le soleil ne peut nuire à l’herbe tendre ».

5.     Ficus carica – Figuier

Il figure parmi les 16 fruitiers de la Capitulaire de Villis. Hildegarde de Bingen décommande la consommation de figues pour les personnes saines, car elles rendraient la personne capricieuse ou railleuse : « Les figues ne conviennent donc point aux gens sains, car elles conduisent à une dissension des chairs et s’opposent à (toutes) les humeurs saines de l’organisme qu’elles pertubent furieusement comme si elles étaient ennemies. »

Symbole de fertilité, les sages-femmes enterrent le placenta au pied de figuiers après un accouchement pour faciliter la lactation. C’est également l’arbre de mai qu’on enrubanne lors de sa feuillaison, en tant que symbole de fécondité.

Paysage n°3 – Les haies et les lisières | revenir à la carte

Le mot haie au Moyen Âge peut à la fois désigner une zone boisée faisant office de frontière sur les limites d’un domaine, ou bien, comme de nos jours, une clôture végétale arbustive et arborée en ligne qui limite une parcelle et qui forme un brise-vent. Ces haies sont source de production de certains fruits et baies, de bois pour la vannerie et de chauffe. Les besoins en vannerie, par exemple[4] , ont dessiné les paysages des bords de rivière avec des plantations spécialisées et des formes spécifiques : les saules étaient taillés de façon à produire périodiquement des rejets aisés à couper.

Les haies sont composées d’arbustes, accompagnées[5]  ponctuellement d’arbres et bordées d’herbes sauvages.

6.     Juglans regia – Noyer commun

Le noyer ne se rencontre pas en forêt, mais dans les haies et lisières, au bord des chemins et des champs. Dans l’imaginaire médiéval, le noyer est un arbre néfaste, dangereux, sous lequel il ne faut jamais s’endormir.  Pierre de Crescens le mentionne dans son traité d’agriculture : « Le noyer est dict de nuyre pour ce que son ombre nuist aux autres arbres ».

En revanche, la mauvaise réputation de l’arbre n’atteint pas ses produits très appréciés. Les cerneaux de noix se consomment dans l’alimentation. On retrouve l’huile qui en est extraite, dans les cuisines des régions productrices.[6]  Son écorce est également broyée pour obtenir une teinture très rare à l’époque : le noir. Le brou de noix s’utilise en tannerie et en teinture, ou encore dans la pharmacopée.

En France, il était réputé que les sabots de qualité étaient en noyer, tandis que dans les pays scandinaves, le bois des peupliers, aulnes ou bouleaux étaient préférés.

7.     Crataegus monogyna – Aubépine

On consommait les jeunes feuilles, et le fruit, séché, réduit en farine et cuit. Le billot des suppliciés pouvait être en bois d’aubépine.

8.      Salix alba – Saule blanc et
9.     Salix viminalis – Saule osier

Les saules étaient utilisés en vannerie mais aussi pour leurs vertus médicinales.

La dimension symbolique du saule est contrastée, sa réputation « stérile » [7] le rend inquiétant. Pourtant ses pouvoirs médicinaux sont fortement utilisés et ils traduisent la pensée médiévale analogique : une décoction des feuilles de cet arbre « stérile » est réputée avoir un effet contraceptif. Les chatons des saules étaient utilisés pour soulager les vomissements, soigner les verrues et diminuer le désir sexuel.

10.   Rosa canina – Cynorhodon

Les petites baies comestibles du rosier sauvage sont consommées séchées. Cet arbuste des haies possède les épines qui évoquent la protection et marquent les frontières à l’intérieur des forêts.

11.   Sambucus edulus – Petit sureau ou yèble

Les sureaux sont des éléments importants de la pharmacopée médiévale : les fleurs sont diaphorétiques et diurétiques, les fruits laxatifs, les feuilles diurétiques et dépuratives.

Paysage n° 4 – Le sous-bois, le bosquet, le taillis, « bois revenant » ou « bois de vente » | revenir à la carte

Les arbres des sous-bois étaient largement utilisés pour la consommation domestique comme bois de feu, bois dit « d’affouage » ou bois d’artisanat (ustensiles ménagers, outils, vannerie, clôtures, piquets…). Charbon de bois, essentiel dans l’industrie métallurgique ; instruments à filer (rouet, fuseaux, quenouilles, navettes), tonneliers (ou cuveliers, futailliers, barilliers), et tant d’autres usages, rendaient la présence de sous-bois indispensables autour des villes et villages.

Ces bois sont conduits en taillis ou taillis sous futaie assez clairs, coupés à intervalles réguliers, soit 8, 10 et 15 ans. Le taillis est un bois ou partie d’une forêt, composé d’arbres de petit diamètre que l’on coupe périodiquement, et qui croissent à partir des anciennes souches.[8]  Les essences étaient sélectionnées parmi celles qui repoussent bien des souches.

De nombreux métiers, aujourd’hui oubliés, dépendaient de l’exploitation de ces bois et de ces taillis : sabotiers, charbonniers, pelonniers (qui fabriquent des objets ou instruments domestiques), cueilleronniers (fabricants de cueilliers), boisseliers, escriniers (fabricants d’écrins), broquiers (fabricants de brocs), huchiers (fabricants de huches), peleurs d’écorces, chêne liège[9] chacun de ces métiers exigent un savoir-faire, transmis de père en fils.

Roland Bechmann dans son ouvrage Des arbres et des hommes, parle de « subtile connivence entre l’arbre et l’homme » lorsque ce dernier surveille des années durant le développement d’une branche propre à fournir l’outil dont il aurait besoin.

12.   Olea europea – Olivier commun

L’huile d’olive est l’huile par excellence, commercialisée et onéreuse dans les régions où l’olivier ne pousse pas. Elle était aussi utilisée pour l’éclairage dans les lampes à huile, majoritairement par l’Église.

Arbre de paix, c’est aussi l’une des principales essences utilisées pour les rameaux de la fête de Pâques chrétienne avec le palmier, le cèdre et le cyprès. Il est symbole d’amour et de fécondité en Provence. À Aix, les femmes stériles se frottaient le ventre au tronc d’un olivier centenaire.

13.   Carpinus betulus – Charme commun

Parmi ses nombreux usages, il était utilisé par les cercliers pour tailler des accessoires de serrage pour les tonneaux. Il fournissait aussi les coins avec lesquels on fendait les autres bois et les axes utilisés pour les machines et cames des moulins.

14.   Tilia cordata – Tilleul à petites feuilles

Dans son épopée ‘Tristan’, Gottfried de Strasbourg, XIIesiècle, plante le tilleul dans un cadre idyllique : lorsque Tristan et Isolde, bannis par le roi[10] , se réfugient en forêt : « ils avaient en abondance ce qu’il faut pour le bonheur ; leurs fidèles serviteurs, c’étaient le vert tilleul, l’ombre et le soleil, le ruisseau et sa source (…) tout ce qui fait le plaisir à l’œil ».

L’écorce était mélangée en poudre avec le pain et servait à fabriquer la « teille » (matière textile entrant dans la confection des sacs, cordes, paniers).  Sa sève était consommée comme édulcorant. Les vertus thérapeutiques, prophylactiques et gustatives du miel de fleurs de tilleul sont encore reconnues aujourd’hui. Les feuilles servaient de fourrage. Le bois, tendre à travailler avec un grain serré et uniforme, était apprécié des sculpteurs et boiseliers.

15.   Buxus sempervirens – Buis

Pierre de Crescens, agronome italien du XIIIe[11] siècle, témoigne dans son traité : « Le bouy est ung arbre êtit qui a le fust jaune et tres ferme, et beau boys en tout temps vestu de belles feuilles vertes et en font les damoiselles chapeaulx ».

Son bois est utilisé pour fabriquer les outilsdu quotidien : peignes, cuillers, manches de couteaux, tablettes de cire[12]  (supports d’écriture effaçable) et comptoirs et bien d’autres petites choses.  Symbole de l’espérance et de la stabilité, les rameaux bénis protègent les maisons contre les maléfices et les récoltes de l’orage.[13] 

16.   Corylus avellana – Noisetier commun

Le noisetier est un arbre du quotidien par excellence : les baies sont consommées, le bois et les feuilles servent pour le fourrage et la chauffe.

17.   Ilex aquifolium – Houx

À[14]  partir du fruit du houx, on fabrique de la glu pour piéger les oiseaux. Conservant ses feuilles en hiver, le houx est pour les Anciens symbole de vie éternelle.

Paysage n°5 – La forêt utile, forêt fructuosa, « bois de garde » ou « réserve » | revenir à la carte

Dans la forêt utile, forestis sylva, la forêt réelle, familière et exploitée : l’arbre sauvage est domestiqué afin de pourvoir aux besoins en bois : de charpente et d’œuvre (maisons, édifices publics et religieux, ponts et enceintes), la tonnellerie, la fabrication de roues et charrettes, bateaux et barques…

La forêt utile est conduite généralement en taillis sous futaie (futaie : ensemble d’arbres de hauts fût). C’est un univers familier (pour se nourrir, se soigner, construire).

Elle est pourvoyeuse d’arbres fruitiers comme des pommiers, pruniers, chênes (glands), hêtres (faines), châtaigniers et baies et plantes de milieux forestiers diverses. Lieux de panage, les hêtraies et les chesnaies nourrissent les troupeaux de cochons.

Les droits d’usages y sont généralement réglementés (par ex. les garennes sont des bois clos, réserve de chasse seigneuriale, réserve de bois de d’œuvre, réserve alimentaire pour les cochons).

Sylvo-pastoralisme et nourricier

18.   Quercus robur – Chêne pédonculé

On élève des abeilles dans les troncs des chênes. Dans certaines espèces, les glands doux étaient réduits et consommés sans précaution ; d’autres espèces dont les glands sont amers n’étaient consommés[15]  qu’après une cuisson qui éliminait le tanin. Les glands sont aussi consommés par les cochons et le tanin utilisé pour le traitement du cuir.

19.   Ulmus RESISTA® « Sapporo Gold » – Orme

Pierre de Crescens reconnaissait la solidité du bois d’orme pour certains ouvrages :  » tres bon pour faire trefs et aussi à faire moyeux de charettes et de moulins, et eschelles, et tymons de chariots et bancquarts, et bois à fendre (…) pour ce que le bois est tenant et ne se taille pas légiérement« . La partie dure du bois était utilisée pour fabriquer des ficelles et des charrettes.

Ses feuilles servaient de fourrage et de litière. Les fruits pouvaient être utilisés pour nourrir les porcs. L’écorce avait la réputation d’avoir un pouvoir cicatrisant et les feuilles de guérir ‘l’humeur noire’. La racine favoriserait les repousses capillaires.

20.   Betula nigra – Bouleau 

La sève était utilisée pour ses propriétés médicinales (diurétique et tonique pour le cœur) et cosmétiques (lotion pour la peau et les cheveux) ; l’écorce est utilisée pour faire des chaussures, des récipients, du papier ou des toitures. À l’identique du charme, les cercliers l’utilisaient pour tailler des accessoires de serrage pour les tonneaux. Les rameaux, souples, servent de verges pour flageller les possédés et les délinquants, de façon à en expulser les mauvais esprits.

Il était, contrairement au chêne, perçu comme d’essence féminine. On disait ‘la bouleau’ au XVIsiècle.

21.   Fagus sylvatica – Hêtre

Dans son traité, Pierre de Crescens renseigne que la ‘moelle’ du hêtre est comestible, pour les animaux au moins : « Il engraisse plusieurs bestes et est très bon pour les coulons (pigeons) et à aucuns autres bons oiseaux et les nourrist fort et fait leur chair bien cuisable« .

Ses feuilles servent de fourrage et de litière. Aussi appelées « plume de bois », elles entrent dans la confection de matelas. Le bois est utilisé dans la construction, notamment navale. Ses fruits étaient donnés aux porcs et on en tirait aussi de l’huile.

La cendre de cet arbre contient non seulement de la potasse, mais également de la chaux. C’est pour cela que les verriers l’utilisaient comme combustible et les verreries favorisaient des emplacements près de hêtraies et d’une source de sable fin.

22.   Sorbus torminalis – Alisier

Les blessons, fruits de l’alisier, se consomment blets. On les transforme en vin ou cidre.

Bois d’œuvre

23.   Populus tremula – Tremble 

Il était dédié à la construction de charpentes d’églises dans les pays d’Europe centrale et orientale.

24.   Castanea sativa – Châtaignier

Il avait le surnom « d’arbre à pain ».

À l’identique du chêne, ce bois chargé de tanins est imputrescible : c’était un élément précieux pour la réalisation de charpentes. Les entrelacs qui dessinent les jardins étaient souvent fait de plessis de châtaignier. Des décoctions d’écorce de châtaignier augmentaient la solidité du chanvre. Farine et châtaignons (châtaignes séchées) entrent dans la fabrication des soupes et gruaux des pauvres. 

Selon le calendrier des coupes, les taillis de châtaignier étaient destinés à des usages différents : à 1 ou 2 ans pour les perches et échalas et piquets de clôtures, à 3 ans pour des cercles pour les paniers ou les tonneaux, à 6 ans pour les piquets de vignes ou légumes grimpants, et enfin entre 15-18 ans pour produire des lames de parquet.

25.   Abies nordmaniana – Sapin

« Ainsi nommé car, en croissant, il va plus haut que les autres arbres » raconte Barthélémy l’Anglais dans le Livre des propriétés des choses, 1247. L’auteur le décrit comme un arbre à croissance rapide, résineux, toujours vert. Le sapin renvoie à l’immortalité de l’âme. Dans la Chanson de Roland, Roland, chevalier courtois, quand il apprend qu’Angélique qu’il poursuit s’est éprise de Médor, devient furieux et il déracine les « chênes, ormes et sapins », il coupe même en deux leurs troncs[18] .

Sa légèreté, sa rondeur et sa hauteur font de lui une essence privilégiée dans la fabrication des charpentes et des mâts de bateaux. Les bûches de sapin sont fendues et mises dans des supports au mur  et éclairent comme des torches.

Garenne close, armes et outils

26.   Fraxinus excelsior – Frêne

La frênette était une boisson fermentée réalisée à partir des feuilles attaquées par les pucerons qui en concentrent la sève. Le bois de frêne est souple et résistant. Pierre de Crescens raconte : « le boys est bon pour ardoir et si est très bon à faire cerceaulx à tonneaux et ynes et aultres vaisseaux ». Les Germains le considéraient comme un intercesseur entre le ciel et la Terre. Il est naturellement et symboliquement considéré comme idéal pour la production d’armes (arc, lance, javelot et flèche). Il était aussi utilisé pour la fabrication de cercles, et dans la construction.

27.   Taxus baccata – If

La méfiance envers les ifs conduisait les Hommes à les couper systématiquement aux abords des chemins afin [22] de protéger les chevaux d’un empoisonnement. Les propriétés toxiques, des feuilles aux racines, leurs étaient connues. On le retrouvait bien à l’abri derrière les murs dans les cimetières.

Il est associé à l’Autre Monde et à la mort. Pierre de Crescens mentionne la qualité du bois d’if pour la fabrication d’arc. En Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles, les archers médiévaux taillaient leurs arcs et leurs flèches en bois d’if. Michel Pastoureau se demande si la nature mortifère de [24] l’if n’a pas joué en faveur de son usage pour l’armement, particulièrement dans ces pays héritiers de la culture celte, qui à la fois vénéraient et redoutaient l’if.

28.   Acer pseudoplatanus – Sycomore faux platane

Son bois était utilisé en lutherie ou travaux délicats de marqueterie mais aussi pour fabriquer des écuelles et tranchoirs.

29.   Crataegus monogyna – Aubépine

Les arbustes d’aubépine servaient de repère pour marquer les limites de parcelles en forêt.

30.   Ilex aquifolium – Houx 

Plessé avec du hêtre et du noisetier, il servait à créer des haies infranchissables pour le bétail. Son écorce pouvait entrer dans la fabrication d’une glu[27] . Son bois, clair et dur, servait dans la fabrication d’objets. Conservant ses feuilles en hiver et selon une légende biblique, le houx était[28] , pour les Anciens, symbole de vie éternelle.

31.   Prunus spinosa – Prunellier

Utilisé en teinture, il entrait dans la fabrication des couleurs roses.

Paysage n°6 – La sylve, forêt profonde | revenir à la carte

Originellement, le mot « forêt » est un terme juridique. Ce sont donc les espaces hors juridiction légale qui sont évoqués ici, l’autre visage de la forêt, son ombre : la sylve. La forêt est un univers de symboles, avant tout dans les textes littéraires où les descriptions réalistes sont absentes.

La sylve est peu explorée. C’est un taillis sous futaie dense voire impénétrable, lieu de refuge des brigands, fous, fugitifs, persécutés, amants, ermites, hommes, animaux sauvages et chevaliers en quête d’aventure. Leurs vies sont racontées dans les contes, les légendes et le folklore populaire. Que ce soit dans Tristan et Iseult, Perceval ou le Conte du Graal, la Chanson de Roland ou le Roman d’Alexandre, les arbres portent de puissants symboles, à certaines étapes clefs des récits, et constituent le riche imaginaire médiéval. La sylve échappe au système usager. Objet de mythes, monde à part et hostile, elle inspire de la méfiance. Traverser la forêt, peuplée de personnages merveilleux et d’animaux sauvages, peut constituer un rite initiatique, où la lisière joue alors un rôle de frontière.

 « Pour l’homme médiéval, c’est le lieu des pouvoirs les plus terribles : il n’y a pas de règles et toutes sortes de merveilles peuvent s’y produire. La forêt est avant tout solitude et infini » dit Carlos Alvar.

32.   Quercus petraea – Chêne sessile

Il est symbole de la pérennité du sang royal et du sacré. Cité dans le Décaméron de Boccace ou dans le Roman de Partonopeus de Blois, le chêne est le roi de la forêt.

33.   Pinus sylvestris – Pin sylvestre 

Les bûches de pin, fendues, pouvaient servir de torches placées dans des supports aux murs.

Arbre de la fée Laudine, il est cité régulièrement dans Yvain ou le Chevalier au lion. C’est l’arbre préféré du Chevalier Calogrenant dans la légende arthurienne « Il croit que, si fort qu’il pleuve, l’eau ruisselle sur ses branches sans qu’une goutte touche le sol. »

Dans la Chanson de Roland le pin est également présent : « Sous un pin, près d’un églantier, on a placé un trône tout d’or pur : là est assis le roi qui gouverne la douce France. » ou encore « il mourra dans cet endroit la tête tournée vers l’Espagne sur un tertre, sous un pin. » à propos de la mort de Roland.

34.   Corylus avellana – Noisetier commun

Dans le roman de Tristan de Béroul, à propos de Tristan et Iseult : « Déjà on était à la Sainte Croix de Septembre, il y avait foison de noisettes, de cornouilles, de cressons, de pommottes, de prunelles, de cormes et d’alise, par les buissons... ».

35.   Cupressus sempervirens – Cyprès

Le bois du cyprès était utilisé pour la confection des instruments de musique.

La légende veut qu’Alexandre Le Grand ait consulté l’arbre du Soleil et l’arbre de la Lune, situés[32] , semblerait-il, aux confins de la Perse en Inde. Ces arbres merveilleux, qui ressembleraient à des cyprès, étaient doués de parole et lui auraient annoncé sa mort prochaine.

36.   Malus domestica – Pommier

La pomme est chargée de symboles ambivalents : fruit de la connaissance, du plaisir et de la tentation, mais aussi de l’impossible et de la chute. Ce fruit représente chez les Chrétiens le mal du péché originel et la rédemption par le Christ. Son aspect nourricier et attrayant est rattaché à la féminité et elle est le symbole de la fécondité rédemptrice lorsqu’elle est représentée dans la main de la Vierge.

Le pommier, arbre du péché était parfois absent des vergers et des cimetières.

37.   Pyrus communis – Poirier commun

« Dans ce bois il y avait un verger très ancien,

Plein de poires et de pommes, d’autres fruits à foison ». Alexandre découvre un verger planté de « mille arbres aux grandes vertus » dans Le Roman d’Alexandre. Les poires étaient beaucoup plus appréciées que les abricots et les pêches. Elles étaient consommées plutôt cuites que cru[33] es. Les variétés cultivées n’étaient probablement pas aussi douces et sucrées que celles que nous connaissons maintenant.


Bibliographie

Publications récentes sur les arbres

  • La Forêt au Moyen-Âge, sous la direction de Sylvie Bépoix et Hervé Richard, Les Belles Lettres, 2019.
  • La vie secrète des arbres, Peter Wohlleben, Les Arènes, 2017.
  • L’Architecture des arbres, Cesare Leonardi et Franca Stagi, Actes Sud pour la Fondation Cartier pour l’art contemporain, juillet 2019.
  • Les arbres, témoins de l’histoire, Richard Melloul, Cyril Drouhet, Michel Lafon, 2019.
  • L’Arbre-Monde, Richard Powers, 10/18, 2019, Grand prix de la littérature américaine 2018, Pulitzer 2019
  • L’arbre dans tous ses états, Georges Feterman, Delachaux et niestlé, 2019
  • L’arbre au Moyen-Âge, de Valérie Fasseur, Danièle James-Raoul, Jean René Valette, PU Paris Sorbonne, 2010.

Bibliographie et sitographie sélective

  • La Forêt au Moyen-Âge, sous la direction de Sylvie Bépoix et Hervé Richard, Les Belles Lettres, 2019 [en vente à la libriaire-boutique]
  • L’arbre, Histoire naturelle et symbolique de l’arbre, du bois et du fruit au Moyen-Âge, Cahiers du Léopard d’Or, 1993
  • Des arbres et des hommes, la forêt au Moyen-Âge, Roland Bechnmann, Flammarion, 1984
  • Promenade dans les jardins disparus, les plantes au Moyen-Âge, d’après les grandes heures d’Anne de Bretagne, Michel Bilimoff, Editions Ouest-France, 2001
  • Flore et Jardins, Usages, savoirs et représentations du monde végétal au Moyen-Âge, Cahiers du Léopard d’Or n°6, 1997
  • Plantes et Jardins du Moyen-Age, Edipso Edition, 1996
  • Alice Laforêt, L’arbre et le livre au Moyen Age. Encyclopédies et herbiers : les arbres dans le savoir botanique occidental (XIII -XV eme siècles), Paris, Ecole de Chartres, 2016, page 196.

Web

Essais, beaux-livres, livres pour enfants, à retrouver à la librairie-boutique (à l’entrée du parc)

  • La douceur de l’ombre, Alain Corbin
  • Les arbres entre visible et invisible, Ernst Zürcher
  • Arbres et arbustes en campagne, David Dellas
  • La vie secrète des arbres, Peter Vohlleben
  • Mythologie des arbres, Jacques Brosse
  • L’homme qui plantait des arbres, Jean Giono
  • Les arbres et les plantes qui restent à découvrir, Olivier Tallec
  • La forêt, un Moyen-Âge enchanté, Géraldine Mocellin

Les précédentes collections du Jardin des 9 carrés

Entre Orient et Occident, le voyage des plantes au Moyen Âge

2016-2022

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